La ville qui n'aimait pas son roi
importent nos rites, nous honorons le même Dieu, c’est ce que répète sans cesse Mgr de Navarre, expliqua doucement Olivier.
Le Bègue lui sourit mais, au visage fermé des deux femmes, Olivier comprit qu’il ne les avait pas convaincues. Il les accola
pourtant avec affection et repartit assez triste, n’étant plus sûr de Thérèse et de Perrine.
Perrine partit peu après, expliquant à sa tante qu’elle allait aider une vieille voisine malade. Couverte d’un long surcot
sans manche avec un chaperon, elle descendit en se pressant la rue Saint-Martin, traversa le pont Notre-Dame et l’Île. Les
rues étaient très animées en cette veille des Rameaux. À chaque carrefour jongleurs, joueurs de viole ou de fretel 1 , saltimbanques et chiens savants, mimes et équilibristes menaient grand tapage et attiraient lesbadauds. Perrine les ignora, n’étant parfois arrêtée que par de longues processions de flagellants qui se fouettaient avec
délice en occupant toute la rue.
Pourtant, devant le Petit-Châtelet, les vivats d’un attroupement l’attirèrent et elle parvint à se glisser au premier rang.
C’était un couple de bohémiens qui présentait deux petits cochons savants habillés l’un en gentilhomme avec épée de bois et
l’autre en dame. Ils se tenaient debout sur leurs pattes de derrière et dansaient à la musique d’un tambourin.
Elle resta un moment, extasiée, mais finalement s’arracha au spectacle et prit la rue de la Huchette en direction de la porte
Saint-Germain.
À partir de là, elle répéta mentalement ce qu’elle allait dire : son maître était revenu, mais elle ne savait pas où il habitait.
Il avait été anobli et s’était marié avec une dame qui avait déjà habité chez eux. Elle était la fille de feu le prince de
Condé et une hérétique.
Que de choses à raconter! La duchesse serait contente d’elle… sauf qu’elle ne pourrait pas dire où était son maître. Il avait même dit qu’il ne resterait pas à Paris. Comment Mme de Montpensier pourrait-elle le retrouver pour lui annoncer qu’elle voulait la prendre à son service?
Perrine était impatiente, elle courait presque, ne prêtant pas attention à la boue et à la crotte qui souillaient sa robe et son surcot. Pourvu que la duchesse soit chez elle! se disait-elle, pourvu qu’elle accepte de la recevoir!
Parfois, un confus sentiment de malaise l’envahissait. Ne trahissait-elle pas son maître en allant raconter tout cela? Son maître avait épousé une hérétique. Si la Ligue l’apprenait, il serait emprisonné… Et Mme de Montpensier était à la Ligue! Mais Perrine chassa ces reproches de sa conscience tant elle voulait entrer au service de cette grande dame si belle et si bonne.
En cette fin d’après-midi la duchesse de Montpensier était avec Cabasset. L’ancien capitaine du duc de Mayenneétait chargé de recruter une soixantaine d’hommes de main pour capturer le roi de France. Cet incroyable projet avait débuté
en février.
Au fil des mois, la duchesse avait accordé sa confiance au capitaine Cabasset. Certes, elle avait le sentiment qu’il n’approuvait
pas toujours ses idées et ne partageait pas sa haine envers Cassandre de Mornay et Olivier Hauteville, mais il la servait
avec fidélité. C’est lui qui avait découvert que Cassandre vivait à La Rochelle et que Hauteville avait rejoint l’armée protestante.
Aussi quand le curé Boucher lui avait présenté son projet d’envoyer Pierre de Bordeaux assassiner le roi de Navarre, elle
avait questionné le capitaine.
Bien sûr, elle ne s’était pas présentée comme l’instigatrice du régicide, elle lui avait seulement dit que le curé Boucher
avait reçu un homme décidé à tuer l’Antéchrist. Boucher, effrayé, lui en avait parlé, car même si dans ses sermons il appelait
à la mort du Navarrais, c’était un homme bon qui s’opposerait toujours à un crime. Elle voulait savoir du capitaine, puisqu’il
était Gascon, si ce fou criminel pouvait arriver à Nérac et s’introduire auprès d’Henri de Bourbon.
Selon Cabasset, traverser la France en guerre, seul, en hiver, sans être un homme d’armes était impossible. À cette heure
le cadavre de ce Bordeaux devait pourrir sur un chemin ou au bout d’une corde, à moins qu’il ne nourrisse les loups ou les
poissons. Quant à entrer au service de Navarre, c’était tout autant impossible. Le Bourbon et ses gens
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