La ville qui n'aimait pas son roi
Richelieu. Leur cape mi-longue ne dissimulait pas leur épée de gentilhomme et, par prudence,
ils avaient enfilé une jaque de mailles entre leur chemise et leur pourpoint.
C’était Nicolas Poulain qui leur avait suggéré cette démarche. Olivier avait une lettre d’Henri de Navarre à remettre au roi,
mais il ne savait comment s’y prendre. Se rendre au Louvre et la donner à Henri III quand il se trouvait dans la salle des
cariatides devant tous les courtisans était le meilleur moyen de se faire remarquer. Le Louvre était infesté d’espions. Il
pouvait être reconnu, suivi, et tué sur le chemin du retour, avec tous les occupants du donjon.
Il fallait agir avec discrétion. Pour ce faire, Nicolas lui avait écrit quelques mots sur une feuille de papier qu’il avait
cachetée avec une double croix tracée dans la cire. En la remettant au valet de chambre du Grand prévôt de France, Olivier
serait reçu par Richelieu sans attendre, lui avait-il assuré.
À l’hôtel de Losse, Olivier donna la lettre au concierge à l’attention du valet en précisant qu’il attendait. Le pli fut rapidement
dans les mains de Richelieu, déjà au travail. Dans la lettre, Nicolas Poulain assurait le Grand prévôt que le porteur – qu’il
ne nommait pas – avait toute sa confiance.
Richelieu fit aussitôt venir les deux hommes en présence de deux archers.
Olivier ne le connaissait pas, mais en découvrant dans la salle glaciale cet homme sinistre au visage hâve cerné par une fine
barbe noir de corbeau, il ne douta pas être en présence de celui qu’on surnommait Tristan l’Ermite.
— Qui êtes-vous? s’enquit Richelieu avec brusquerie.
En présence des gardes, Olivier ne pouvait répondre.
— Nous devons vous parler sans témoin, messire, répondit-il seulement.
— J’espère que ce que vous avez à me dire est important, sinon vous finirez la journée à la Conciergerie. Veuillezremettre vos épées à mes hommes, et n’envisagez pas de tenter quelque chose!
Olivier et Caudebec s’exécutèrent et les archers sortirent avec leurs armes.
— M. Poulain m’a indiqué ce moyen pour vous rencontrer, monsieur le Grand prévôt, dit Olivier en désignant la lettre posée sur la table.
— Pourquoi ne me donne-t-il pas vos noms? demanda Richelieu avec une pointe d’agacement.
— Par prudence, monsieur. Je me nomme Olivier Hauteville, seigneur de Fleur-de-Lis, et mon compagnon est François Caudebec, capitaine de M. de Mornay. J’ai une lettre de Mgr Henri de Navarre pour Sa Majesté, mais je dois rencontrer le roi discrètement, car il ne faut pas que la Ligue apprenne notre présence à Paris.
— M. Poulain connaît un Hauteville, un clerc dont le père était contrôleur des tailles, mais il n’était pas noble. Est-il un de vos parents?
— Je suis ce Hauteville, monsieur, j’ai été anobli par le roi de Navarre sur le champ de bataille.
Richelieu le regarda attentivement. Cet homme lui mentait-il? Il n’avait jamais vu Hauteville et ne pouvait donc être certain qu’on lui disait la vérité.
— D’où venez-vous? Hauteville avait quitté Paris…
Olivier lui fit un bref récit de sa vie depuis son départ avec la cour de Catherine de Médicis, puis il répondit à quelques
questions du prévôt sur l’affaire des fraudes sur les tailles. Ses réponses précises convainquirent Richelieu.
— Je verrai le roi dans la journée, promit-il. Revenez demain à la même heure, j’aurai une réponse.
Le lendemain, Richelieu leur annonça que le roi les attendait au Louvre, après neuf heures. Ils se présenteraient au pont-levis
de la rue Fromenteau et donneraient le mot du guet : « Bourbon et Picardie » à l’officier de garde qui les conduirait chez
Sa Majesté.
L’après-midi, Caudebec resta dans la chambre du prince des sots pour surveiller l’ambassade, tandis que Cassandre et Olivier apprenaient quelques tours de jonglage et d’équilibriste dans le théâtre de l’hôtel de Bourgogne. La nuit tombée, ils partirent tous trois pour le Louvre. François Caudebec et Olivier avaient ajusté une cuirasse sur leur pourpoint et changé leur toquet pour un casque. Une arquebuse à rouet était attachée à leur selle. Ils entouraient Cassandre, en manteau et en robe sur la sambue, une épée à large lame attachée à sa selle et deux pistolets à rouet dans des fontes. Venetianelli et le mari de Chiara les précédaient à pied,
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