La ville qui n'aimait pas son roi
Guise et la cavalerie d’Aumale allaient s’attaquer au Louvre. Cela débuterait le dimanche de
Quasimodo ou le lendemain. Il fallait qu’ils aient quitté la ville avant huit jours.
Sans rien promettre, Olivier le rassura et lui raconta leur entrevue avec le roi. Selon lui Henri III les protégerait si c’était
nécessaire.
Pas convaincu, et avec une inquiétude grandissante, Nicolas partit en compagnie de Caudebec qui regagnait la chambre du prince
des sots. Quant à Venetianelli, il rejoignit sa maîtresse.
Olivier et Cassandre restèrent donc seuls. Les chandelles de graisse avaient enfumé la chambre et Cassandre les éteignit toutes
sauf une, puis entrebâilla une fenêtre pendant qu’Olivier se déshabillait.
Elle réfléchissait. Pénétrer dans le temple et fouiller le logis de Juan Moreo ne serait pas facile malgré ce que disait Venetianelli.
Elle pourrait les accompagner, mais elle devinait que son mari s’y opposerait.
Comment le convaincre?
Après avoir assisté au spectacle de la compagnie, la jeune femme s’était fait une opinion peu avantageuse des spectacles donnés
à l’hôtel de Bourgogne. Le parterre était plein d’une populace vulgaire qui jouait aux cartes ou aux dés entre les farces.
Les clercs, les soldats, les valets, qui formaient la plus grande part de l’assistance, s’interpellaient bruyamment et les
rixes éclataient pour un rien.
Quant aux pièces jouées par les comédiens, elles étaient à la fois sacrilèges et grossières. Cassandre comprenait pourquoi
le curé de Saint-Eustache avait qualifié le jeu des troupes italiennes de cloaque satanique. Non seulement la religion catholique
y était bafouée – ce qui ne la dérangeait guère – avec des prêtres lubriques, ivrognes, se riant continuellement des sacrements,
mais en plus l’impudicité des cinq comédiennes y était insensée et scandaleuse. Serafina et ses sœurs s’y montraient dépoitraillées,
levant leurs robes devant le public et affichant sans vergogne leurs fesses et leurs rondeurs généreuses autant que les bougresses
de la rue Saint-Denis.
— As-tu aimé les comédies de cet après-midi? lui demanda-t-elle d’un ton détaché.
Il s’approcha d’elle en chemise pour l’aider à ôter sa robe. Le matin, ou dans la journée, c’est Pulcinella qui lui servait
de servante, mais le soir elle préférait que ce soit son mari qui la dévêtisse.
— J’ai beaucoup ri, fit-il le cœur battant, en détachant les boutons de sa robe.
Il avait souvent assisté au spectacle de troupes itinérantes durant les deux ans écoulés et il estimait que la Compagnia Comica était bien meilleure que ce qu’il avait vu, mais il n’avait guère envie d’en parler, ayant l’esprit à tout autre chose.
— J’ai trouvé ces farces sales et vilaines, lui répliqua-t-elle d’un ton pincé.
Elle le pensait vraiment bien qu’elle eût ressenti une étrange attirance pour les mœurs des comédiennes. C’était un trouble
sentiment, mélange de répulsion et de désir. Toute la soirée, elle n’avait pu chasser cette impression, songeant même à la
vie de débauche que sa mère avait connue. Une vie si différente de l’austère éducation qu’elle avait reçue de Mme de Mornay.
En fouillant au tréfonds de son esprit, elle était pourtant certaine que ce n’était pas la dépravation ou l’impudicité des
femmes qui l’avait attirée. C’était leur liberté. Ces femmes étaient plus libres qu’elle.
— J’irai avec vous demain dans l’enclos du Temple, décida-t-elle comme il lui défaisait la brassière qui tenait ses seins, cherchant à l’embrasser.
Il s’arrêta, stupéfait.
— C’est impossible, mon amie! Ce serait trop dangereux et ce n’est pas la place d’une femme, s’exclama-t-il.
— Ce qui serait dangereux, mon ami, c’est que je préfère rester avec les comédiennes, que je partage la vie qu’elles mènent et que j’aie envie de les rejoindre dans leur spectacle, sourit-elle avec une ombre de perversité.
Il comprit l’allusion et il l’embrassa dans le cou. Cette fois, elle se laissa faire.
— Je préfère alors que tu viennes avec moi, dit-il.
Que risquaient-ils dans l’enclos du Temple? tenta-t-il de se convaincre alors qu’il l’entraînait sur leur couche avec passion.
1 Le dimanche suivant Pâques.
11.
C’était le dimanche de Pâques. Habillé, Olivier chassait quelques poux repus par leur
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