La ville qui n'aimait pas son roi
si la duchesse gardait le sourire.
Quand le silence revint, La Chapelle ajouta que le roi avait fait renforcer le guet de nuit et de jour autour du Louvre et
prévenu le prévôt des marchands qu’il châtierait les perturbateurs du repos de la ville et de l’État. Comme les murmures s’amplifiaient,
Le Clerc intervint en se moquant du bougre impuissant qui ne parviendrait pas à imposer sa volonté, et il rappela l’heureuse
journée de Saint-Séverin, ce qui fit rire l’assistance et baisser un peu la tension.
Ensuite la duchesse de Montpensier prit la parole et sa voix douce et ferme provoqua le silence du public.
— Il a quelque temps, le curé Boucher m’a parlé d’un projet qu’il avait eu. Quand le bougre (rires du public) se rend dans son monastère hiéronymite de Vincennes faire retraite, il revient le soir au Louvre avec une escorte d’une trentaine d’hommes. Le père Boucher pensait qu’il était possible de s’attaquer à eux. J’ai donc fait étudier cette entreprise par un vaillant capitaine de mon frère, le duc de Mayenne…
Poulain comprit qu’il s’agissait de Cabasset.
— Le roi est en ce moment à Vincennes, poursuivit-elle. Il rentrera demain soir et trouvera sur son chemin, hors la porte Saint-Antoine, soixante vaillants cavaliers cuirassés à mes ordres. Ils se débarrasseront de l’escorte et se saisiront du bougre pour le conduire à Soissons. Ainsi, mon frère aura obéi à ses ordres en ne venant pas à Paris, puisque c’est le roi qui sera venu le voir!
Cette fois les exclamations de joie et les vivats retentirent provoquant un assourdissant vacarme. La Chapelle étant parvenu
à rétablir le calme, la duchesse reprit sur un ton plus grave.
— Prisonnier, Henri de Valois sera condamné à faire amende honorable, en chemise, la tête et les pieds nus, la corde au col, tenant en main une torche ardente de trente livres. Il sera publiquement déclaré indigne de la couronne de France et confiné à perpétuité au monastère des hiéronymites pour y jeûner au pain et à l’eau le reste de ses jours… comme il aime tant le faire!
Ayant terminé, elle redressa sa poitrine, fière et arrogante, tandis qu’un tonnerre d’applaudissements crépitait. Poulain
lui-même ne s’épargna pas, frappant dans ses mains jusqu’à en avoir mal.
Après le retour au calme, Le Clerc expliqua à son tour :
— Le roi saisi, je donnerai l’alarme à Paris, disant que ce sont les huguenots qui l’ont pris pour lui couper la gorge. Nous massacrerons ensuite les politiques et tous ceux du parti du roi. Je ferai passer un mot à toutes les villes de la Ligue pour qu’elles agissent de même.
La Chapelle ajouta ensuite que si, par des circonstances imprévues, l’opération échouait, il enverrait un messager supplier
le duc de les secourir.
Le lendemain de cette réunion, bien avant le lever du soleil, Poulain se rendit à l’écurie du Fer-à-Cheval où il prépara lui-même
sa monture. Muni d’une petite lanterne en fer, il descendit jusqu’à la rue Saint-Antoine et passa la porte de la ville au
moment de l’ouverture, se glissant dans un groupe de marchands.
Ce qu’il allait faire était certainement risqué, mais il ne pouvait agir autrement. Le temps pressait et il avait jugé qu’on
le remarquerait moins en partant si tôt.
En 1584, Henri III, qui avait connu l’ordre de saint Jérôme en Pologne, avait été séduit par leur règle inspirée de saint
Augustin. Pour eux il avait fondé les hiéronymites de Vincennes et fait construire le petit monastère de Sainte-Marie-de-Vie-Saine
à quelques centaines de pas du château. Avec ses intimes, il se retirait souvent dans une cellule pour prier ou faire retraite
bien que ces démonstrations de foi, tout comme les processions de flagellants auxquelles il participait, n’émussent plus le
peuple qui ne croyait pas à sa sincérité.
Poulain savait que le monastère, constitué de seulement douze cellules entourées d’un mur, était fort bien gardé. Les patrouilles
étaient nombreuses aussi ne chercha-t-il pas à s’y rendre directement. Au premier détachement de gardes qu’il rencontra, il
se présenta comme prévôt de maréchaux et demanda à l’officier de le conduire auprès du colonel Alphonse d’Ornano ou de M.
de Cubsac. Il était en mission, expliqua-t-il, et personne ne devait avoir connaissance de sa visite. Après l’avoir écouté,
l’officier
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