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La Violente Amour

La Violente Amour

Titel: La Violente Amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sur mon ardente
prunelle, de peur qu’elle ne trahît par son éloquence notre commune
taciturnité.
    La belle
drapière était attifurée comme la veille en ses habits de deuil et sa face
présentait, à qui eût su finement l’examiner, un bien étrange mélange de
chagrin et de contentement, tous les deux véritables, et le premier tâchant de
voiler le second, mais y faillant, à tout le moins à mes yeux. Les siens, qui
étaient immenses et me ramentevaient un lac sombre où se jouaient des lumières
dorées, m’eussent paru insondables et froidureux, si elle ne m’avait quis de
m’aiser et de m’asseoir d’une voix tant basse et suave que mon oreille y perçut
un frémissement secret. Frémissant alors mêmement du talon à la nuque, j’eus
grand-peine à détrémuler ma propre voix pour lui réciter le conte que j’avais
pour elle préparé :
    — Madame,
dis-je, vous devez vous demander la raison de cette déguisure où vous me voyez,
de cette barbe, de ces habits de marchand, de ce nom emprunté. C’est que je
dois à force forcée me rendre à Paris pour y défendre des intérêts que j’y ai,
mais ne le peux faire sous mon vrai visage, étant haï par de certaines gens qui
sont de présent tout-puissants en la capitale. J’ai donc pensé me couvrir d’un
patronyme supposé, ayant acheté des étoffes céans afin d’y usurper l’état de
drapier.
    — Monsieur,
dit-elle avec un sourire, vous pourrez acquérir à Châteaudun soie, satin,
brocart, laine, coton, futaine, pour toutes les quantités que vous désirez.
Mais vous ne pourrez rien vendre aux chalands en Paris : sans cela les
drapiers de la bonne ville vous tomberaient sus, bec et griffes. Cependant, si
vous vous donnez à ceux-ci en les allant voir de prime, comme mon cousin et mon
associé, vous leur pourrez vendre à eux-mêmes ce que vous voudrez, toutes
marchandises circulant si mal par les troubles des temps. Toutefois,
ajouta-t-elle, avec un demi-souris, si vous les voulez persuader que vous êtes
des nôtres, il vous faudra barguigner âprement sur lesdits prix et ne rabattre
que sol par sol vos prétentions ! Ce que les gentilshommes ne sont guère
accoutumés à faire.
    Ce discours ne
laissa pas que de me toucher, me ramentevant ma petite mouche d’enfer Alizon,
quand elle me donnait ses bonnes leçons sur le ton et le langage propres à
l’état de bonnetier, avant que de partir avec moi à Boulogne en cette
déguisure. N’est-ce pas étonnant, m’apensai-je, de voir avec quelle force, quel
émerveillable dévouement, sans réserve et sans faille, les femmes servent leurs
amants, pour peu, justement, qu’elles se sentent assurées de leur amitié. C’est
là, à mon sentiment, que ce suave sexe est à son meilleur et plus sublime
degré, lui qui, dans les occasions, peut si facilement entrer en ire et en
haine, et se changer en tigre, d’agneau qu’il était de prime.
    Je ne faillis
pas d’être docile élève à si aimable régent, laissant la belle drapière acheter
pour moi les étoffes qu’elle voulut et pour les revendre, serrant ses avis et
conseils dans la gibecière de ma mémoire. Dans le même temps, je commandai à
Miroul qui était de ses mains si dextre, de pratiquer une cache dans le
plancher de ma coche, afin que d’y placer les vivres que Pissebœuf et
Poussevent, chacun de son côté, allèrent acheter en différents endroits de la
ville pour ne point éveiller l’attention par un excessif envitaillement.
    Autant que le
permettaient les dimensions de ma cache, je fis ainsi de grandes provisions de
biscuits, de lard, de jambon, de salaisons, de miel, et même de blé, m’apensant
que le pain viendrait se peut à manquer en la capitale.
    Cependant, si
affairé que je fusse à chaque minute de ces huit jours que je passai à
Châteaudun, je ne manquai pas d’attendre du matin au soir avec une sorte de
contenu frémissement, la délicieuse sournoiserie de nos nuits. Et voyant
combien la belle drapière était exacte à ne rien trahir, ni par ses regards ni
par le plus menu propos, de ce qui s’y passait, mais voulait voir fort
observées les disciplines et les cérémonies de notre chaste amitié, je faisais
mine, chaque soir, à la tombante et complice nuit, de me vouloir contenter de
la chaire à bras, tant est qu’elle me devait prier de la venir, pour la
commodité, rejoindre en sa coite pour dormir avec elle, comme frère avec sa sœur.
Ainsi les mots mêmes s’encontraient aussi

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