La Violente Amour
j’eusse fait ensuite, tant cette scène
m’avait tout ensemble enflammé et atendrézi, je la laissai aller, bien à
rebrousse-cœur, et dis non sans gravité :
— Madame,
je voudrais qu’avec cette petite dague, qui de vous à jamais s’éloigne, vous
quitte aussi la tentation qui y était attachée, et si vous le permettez,
j’oserais quérir de vous que vous m’en fassiez la promesse.
— Ha !
Monsieur, dit-elle, vous l’avez ! Vous l’avez mille fois ! C’eût été
très grand péché, et très damnable, d’oser faire ce que j’ai osé dire, et je
rougis, de présent, à cette pensée même, dont votre braveté m’a à jamais
détournée. Mais je vous prie que vous me promettiez à votre tour de me revenir
visiter dès que pourrez : l’amitié, comme vous savez, se nourrit de la vue
de l’ami, et se meurt, si elle en est privée.
Je le lui
promis, et aussi de lui écrire des lettres missives de Paris si faire se
pouvait, puisque d’ores en avant, elle était ma cousine et en l’état qui était
le mien, mon associée. Là-dessus, le cœur me toquant fort, je la quittai, ne
sachant si dans le nid de frelons où je m’allais fourrer, je vivrais assez pour
la revoir.
J’avais de
Mantes écrit à ma gentille Alizon de louer pour moi une maison en la capitale,
pour ce que je ne voulais point la mettre en péril à loger chez elle de nouveau,
ayant été découvert de ma déguisure par La Vasselière le jour des barricades et
risquant fort, par conséquent, d’être par elle, ou ses suppôts, derechef percé
à jour. Auquel cas, ma pauvre Alizon se fût vue fort suspecte de connivence
avec moi, et se peut ruinée par les encharnés ligueux, qui en Paris piaffaient
et bravachaient comme fols sur le haut du pavé.
Aussi,
advenant en la bonne ville, comme j’avais fait en Châteaudun, à la tombée du
jour, ma petite mouche d’enfer, après mille brassées et poutounes, me conduisit
tout de gob en une maison, belle assez et spacieuse, qui se trouvait sise près
la porte Saint-Denis, rue des Filles-Dieu, à côté du couvent de nonnes qui
porte ce nom. Son possesseur, M. de Férot, qui était de noblesse de robe, et fort
étoffé, s’était quinze jours plus tôt, retiré en sa maison des champs de
Normandie, sous le prétexte d’une intempérie des poumons, en réalité pour ce
que voyant bien que le roi allait faire le siège de la capitale, il désirait
s’escargoter à l’abri des misères et famines qui ne failliraient pas de
s’ensuivre.
Je retins mon
Alizon à souper et coucher en mon nouveau logis, ne la voulant point mettre au
hasard de sa vie à déambuler la nuit en Paris, même par mes gens accompagnée,
sachant combien les mauvais garçons pullulent céans en les rues, dès que tombe
le soir. Tant est que j’eus tout loisir après notre repue de rester bec à bec
avec elle, et de quérir d’elle où était l’état des affaires en la capitale.
— Vramy !
dit ma petite mouche d’enfer, sur qui les ans avaient passé sans entamer du
tout joliesse ni pétulance – étant mince, vive, frisquette, peu d’appas,
mais ceux-là toujours en mouvement, et parlant avec cet accent pointu et
précipiteux de Paris qui me plaisait tant à ouïr de sa friponne bouche. Vramy,
mon Pierre ! Cela ne saurait aller pis, le gros Mayenne s’est tant fait
taper sur la queue à Ivry par Navarre qu’il n’a même pas, depuis, osé montrer
son gros nez en Paris ! C’est son demi-frère qui commande, céans, le duc
de Nemours, un galapian qui à peine a passé vingt ans, et pour l’armée de
Paris, c’est son cousin, le chevalier d’Aumale.
— Le
chevalier d’Aumale ! dis-je, béant.
— Lui-même.
Et encore qu’il soit jeune, beau et vaillant, je ne l’aime guère : il a
tant de mauvaiseté dans l’œil.
— Nemours
et d’Aumale ! dis-je songeard. Quand même que Guise soit mort à Blois, les
Lorrains sont toujours les rois de Paris !
— Et les
princesses lorraines, les reines ! dit Alizon avec un vinaigre que je ne
lui connaissais point. Vramy ! Passe encore pour la « reine-mère »,
elle est bénigne assez. Mais la Guise ! Mais la Montpensier !
Vramy ! Il n’y a pas pire diable en cotillon que la Boiteuse ! Les
prêchereaux ne prêchent, le poignet bien graissé, que sur l’Évangile des petits
billets qu’elle leur fait tenir, et Benoîte Vierge ! il n’est question
là-dedans que de mourir pour la foi plutôt que de se rendre
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