La Violente Amour
en
France, depuis qu’il s’en était venu des Flandres, pour ce que c’étaient des Henricus français, sans aucune autre monnaie, ni flamande ni espagnole.
Je fus bien
aise de cette trouvaille qui me confortait des dépens et débours que m’avait
coûtés cette campagne, sans que j’eusse fait un seul prisonnier dont j’eusse pu
tirer rançon. J’en voulus donner une part à Miroul, mais il refusa tout à trac,
arguant que la jument était ma prise de guerre, saisie par moi sur le champ de
bataille, selle comprise. La vente de la jument me rapporta cinq cents écus,
tant est que je me sentis content d’être assez étoffé, outre le viatique du
roi, pour soutenir du dedans le siège de Paris.
C’est entre
Mantes et Châteaudun, la coche arrêtée dans un bois, que je revêtis la vêture
de marchand qu’Alizon m’avait fait faire pour ma mission de Boulogne, et
commandai à Miroul, Pissebœuf et Poussevent de revêtir leurs habits. Ce que mes
deux arquebusiers firent très à rebrousse-poil, étant bien rebelutes de quitter
leur livrée jaune et rouge, dont ils tiraient plus d’orgueil qu’un baron de son
toril. Dans cet équipage, je ménageai si bien les choses que nous arrivâmes à
Châteaudun à la nuit tombante, si bien que les rues étaient jà désertes quand
je toquai à l’huis de la belle drapière et éclairant ma face par ma lanterne,
dis à la chambrière à travers le judas que je me nommais Coulondre, que j’étais
drapier à Mantes, et que je demandais l’entrant. Elle alla quérir sa maîtresse,
laquelle, fort perplexe de prime, ne me reconnaissant ni par mon visage ni par
mon attifure, me reconnut à la parfin à ma voix, et commanda à sa chambrière de
laisser entrer la coche en sa cour.
Dès que nous
fûmes seuls en sa chambre, et sans me demander la raison de mon attifure, la
belle drapière s’assit et jeta tout soudain des torrents de larmes, m’apprenant
la très affligeante nouvelle du décès de son deuxième époux, frappé d’un miserere [17] huit jours après qu’il l’eut mariée. Je m’aperçus alors qu’elle était de
cap à pié vêtue de noir (ce qui, du reste, seyait à merveille à son teint laiteux).
Et je lui dis combien j’étais marri d’être venu troubler son deuil par ma
présence inopportune.
— Ha !
Monsieur ! me dit-elle d’une voix entrecoupée en m’envisageant à travers
ses larmes de son œil mordoré (le plus grand et le plus beau de l’univers),
c’est tout le rebours ! Vous me sauvez ! Du moins pour le temps que
vous serez céans, car j’ai formé le propos de mettre fin à mes jours, ne
pouvant souffrir une heure de plus le vide où je m’encontre après le décès du
meilleur des maris. Raison pour quoi j’ai éloigné tous mes gens, ne gardant
près de moi que la vieillotte qui l’huis vous a déclos.
— Ha !
Madame ! m’écriai-je, me jetant à ses genoux, et lui saisissant les deux
mains, qu’ois-je ! Porter la main sur votre douce vie ! Quel péché ce
serait ! Ignorez-vous comment l’Église traite les suicidés, refusant de
leur ouvrir la terre dans les cimetières ?
— Ah, peu
me chaut ! dit-elle, ses larmes redoublant, peu me chaut de ce qu’il
adviendra de ma mortelle enveloppe, dès que je l’aurai dépouillée. Et peu
m’importe même, poursuivit-elle avec passion, si je suis damnée, craignant fort
que mon pauvre bien-aimé défunt ne le soit mêmement, pour ce qu’il est mort en
un battement de cil, sans confession ni communion, et pour ainsi parler, dans
la graisse de ses péchés, s’étant la veille avec moi ventrouillé dans des
enchériments si délicieux que je ne peux croire que l’Église les approuve.
— Ah !
Madame ! dis-je, laissez là ces pensements si âpres ! Que savons-nous
de la justice du grand juge du ciel, personne n’étant sur cette terre revenu
pour nous dire ce qu’il en est ! Vivez, Madame, vivez ! Vous êtes
trop jeune et trop belle pour ôter au monde le privilège de se réjouir l’âme en
vous contemplant.
— Ha !
Monsieur ! vous parlez de miel ! Je croyais, à prêter l’oreille à vos
gentillesses, ouïr mon mari, le plus aimable et le mieux-disant des hommes.
Ha ! vrai Dieu ! Doux Jésus ! Benoîte Vierge, reprit-elle
secouée par ses sanglots, me l’avoir ravi si vite !
Ce disant,
elle porta les deux mains à ses joues, comme pour les graffigner, ses larmes,
cependant, coulant sur lesdites joues, grosses comme des pois, et
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