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La Violente Amour

La Violente Amour

Titel: La Violente Amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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que je vendis tout, et gagnai, en outre, la considération des
marchands et en quelque mesure leur fiance, car cette espèce de gens est plus
prudente et suspicionneuse que rat en fromage et sort fort peu la tête du trou
qu’elle s’est fait, de peur qu’on ne lui tape sur le museau.
    Pourtant, un
de ceux-là, nommé Borderel, qui habitait au bout de la rue
Saint-André-des-Arts, j’entends du côté de la porte de Bucci, me prit en
amitié, pour ce que sa femme, étant quasiment à la mort et lui ayant dit que
j’avais étudié médecine en Montpellier, devant que mon père me laissât son
fonds, il voulut à force forcée que je la visse, et moi observant qu’elle
toussait à cracher le sang, et qu’elle s’encontrait sèche, étique et atténuée,
quis de Borderel comment les médecins la soignaient. Et oyant de sa bouche
qu’ils la purgeaient, saignaient et mettaient à diète, je l’avisai de
discontinuer ce mortel curement, mais de la nourrir à suffisance, sans la
saigner ni la purger, ni la claquemurer entre ses quatre murs, mais d’ouvrir sa
fenêtre à l’air, quand le soleil luisait. Ce que Borderel finit par faire sans
me croire du tout, mais en grande désespérance de la voir passer. Tant est que
la pauvrette reprit en peu de jours quelque vie et couleur, et aussi quelque
gaîté, et ne mourut, à ce que j’appris, que deux ans plus tard, tuée par la
maladie, et non par les médecins.
    Ce Borderel
qui se trouvait fort haut en son état, fournissait soieries et satins au
tailleur de M. de Nemours et des princesses lorraines. Ce qui fit que je me mis
à cultiver fort son amitié, m’apensant que je trouverais en son discours
provende à béqueter, d’autant qu’il n’était ni ligueux ni royaliste, attendant
que l’un et l’autre des deux partis fût victorieux avant que de se déclarer
pour lui, et n’ayant, de vrai, d’autre religion que celle de ses écus ;
cependant, allant fort à messe, opinant du bonnet aux prêches sanguinaires, et
donnant libéralement aux quêtes des Seize, afin qu’on ne le réputât pas politique.
    Je ne laissai
pas, de reste, d’aimer quelque peu ce Borderel, quoiqu’il fût chiche-face, pour
ce qu’il était homme de sens et bon homme assez, à ses enfants, très dévoué, et
de son épouse raffolant, laquelle avait vingt ans de moins que lui, et dès
qu’elle eut derechef rondi ses os de quelque charnure, fort belle, encore que
languissante, en raison de son intempérie. Borderel portait toute sa barbe,
qu’il avait grise, et sur sa face, un air de tristesse que démentait sa
coutumière humeur, laquelle était gaie et gaussante, s’encontrant, en fait,
fort clabaudeur et colporteur de petites nouvelles, surtout sur les grands,
comme le sont les Parisiens. Et je me suis souvent apensé que sa malenconique
mine était un jeu de la nature – lusus naturae  – et due au
fait que tous ses traits s’affaissaient : l’œil tombant sur le bord
externe, le nez tombant sur les lèvres, les lèvres tombant aux commissures, et
je suppose aussi (pour ce que la barbe le cachait) son menton s’affaissant sur
son double menton. J’ai vu depuis des chiens (du diable si je me ramentois leur
nom) dont l’œil vers le bas abaissé, piteux et larmoyable, paraissait témoigner
au milieu de leurs poils d’un chagrin éternel, alors qu’on les voyait trotter,
sauter et gambader, la queue droite, ou de joie agitée. Ainsi pour mon Borderel.
    C’est le 15 ou
le 16 mai, à ce que je cuide, c’est-à-dire huit jours environ après le
début du siège, que Borderel m’apprit la mort du gros cardinal de Bourbon que
les ligueux appelaient Charles X, s’étant fait un roi de carton, pour
couvrir leur mutinerie, lequel n’avait, en réalité, d’autre couronne que la
tonsure de son état.
    — Il est
mort, me dit Borderel en hochant le chef, d’une rétention d’urine qui lui causa
une fièvre continue, laquelle le dépêcha. À preuve, poursuivit-il, en
remplissant mon gobelet à ras bord d’un bon vin de Médoc, que pour vivre, il
faut pisser, et pour pisser, il faut boire. Trinquez, compère.
    — Tant
est que nous voilà sans roi, dis-je en trinquant, et parlant avec prudence, à
seule fin de tirer le premier fil qui allait, se peut, dévider l’écheveau.
    — Voire !
dit Borderel. Ce n’est pas tant que nous manquons de cette denrée-là. C’est que
nous en avons trop.
    — Trop ?
dis-je contrefeignant le naïf. Comment

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