La Violente Amour
malgré le grave de l’heure, et tout riant (ce qui
étonna Franz) je lui donnai jour pour le vendredi suivant à trois heures.
— Ha !
Monsieur, dit-il, vous n’avez pas à craindre que je n’y sois pas, étant de
présent, avec ma liebchen, tout le domestique de ce grand hôtel, lequel
fourmillonnait de monde avant le siège. Et ne perdez point cœur, je vous prie,
si je vous fais espérer un moment à l’huis, après que vous l’aurez toqué. Pour
ne point donner l’éveil à ma maîtresse, je contrefeins une grande faiblesse des
gambes et me traîne au logis comme limace sur laitue.
Les deux jours
qui suivirent, je débattis âprement avec mon Miroul la question de savoir s’il
serait ou non de ma suite le vendredi de ma visite, craignant d’être trahi
derechef par ses yeux vairons, maugré ses lunettes. Mais à la parfin il
l’emporta, me vergognant quasiment de ne le point vouloir avec moi, alors qu’en
ces sortes d’encontres, il m’avait sauvé plus d’une fois la vie, et
m’inspirant, pour ainsi parler – futé fripon qu’il était –, une sorte
de superstitieuse crainte de son absence en le péril de l’heure. Mais comme, de
toutes manières, je voulais Pissebœuf avec moi – laissant au logis
Poussevent, lequel, à cause de son impudente bedondaine, faisait de présent
scandale dans les rues de notre maigre Paris – je décidai, primo :
que tous trois, nous revêtirions des cottes de mailles sous nos habits, afin de
ne pas être assaillis à l’avantage au détour d’une galerie, secundo :
que Miroul et Pissebœuf porteraient des hottes sur le dos, contenant des soies
et des satins qui me restaient de mes bargouins, Pissebœuf entrant seul avec
moi, et Miroul demeurant en l’antichambre, sa hotte contenant, cachées sous les
étoffes, trois épées dont nous pourrions, se peut, avoir l’usance. En outre,
chacun de nous porterait dans le dos, dissimulées sous notre mantelet, deux
dagues à l’italienne.
C’est en cet
appareil – lequel nous eût laissés toutefois sans défense aucune devant un
pistolet – que nous prîmes ce vendredi le chemin de l’hôtel de M me de Montpensier, lequel, comme je l’ai dit jà en cette chronique, était
construit sur la rivière de Seine, le pied de son mur sud baignant dans l’eau.
Il faisait fort chaud en ce juillet, et le poids de notre cotte de mailles sous
nos habits nous mit terriblement en eau, si lentement que nous marchions à
destination, sans compter aussi quelque émeuvement de ce qui nous pouvait
échoir en l’antre de ces sorcières – je parle ainsi de la Boiteuse et de
La Vasselière, M me de Nemours n’étant point faite de la même
infernale chair, tant s’en fallait.
Franz fut fort
long, comme il m’en avait prévenu, à répondre au toquement de l’huis, lequel se
faisait par un petit marteau de bronze doré, aux armes des Guise, et lui ayant
dit ce dont nous étions convenus, il fut plus long encore à me rendre réponse
et à nous donner l’entrant : ce qui fut pour moi, cause tout ensemble de
contentement – puisque je touchais au but – et d’enfiévrée
déquiétude.
— Franz,
dis-je, comme il allait me précéder dans une longue galerie, laquelle, à ce que
je vis, donnait à l’aplomb sur la rivière de Seine, plaise à toi de laisser
Miroul et sa hotte céans en ce recoin pour l’appeler au cas où j’aurais de lui
besoin, mon commis Pissebœuf seul me suivant.
— Qu’y
a-t-il dans ces hottes ? dit Franz d’un air suspicionneux, pour ce qu’il
se voulait fidèle à sa maîtresse, maugré sa chicheté et ses mauvais
traitements.
— Rien
que des étoffes, Franz, dis-je, sourcillant. Me crois-tu homme à assassiner ta
maîtresse ? C’est elle, et non pas moi, qui tient boutique et marchandise
de meurtreries, et par ta main, et ici même, les corps des malheureux étant
ensuite jetés en Seine par cette fenêtre que voilà. Le nieras-tu ?
— Hélas
non ! dit-il, tournant tout soudain pâle et vergogné. Je vous l’ai dit, et
ne m’en dédis point, et assurément, le souvenir m’en tabuste excessivement la
conscience, combien que le chapelain de ma maîtresse m’ait absous à chaque
fois, pour la raison que j’ai obéi à ma dite maîtresse, laquelle, dit-il, ne
pouvait errer, étant si haute dame et si bonne catholique, et les hommes que
j’ai dagués, de vils hérétiques et autres suppôts d’enfer.
— Et moi,
Franz, dis-je le prenant par le bras, et
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