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La Violente Amour

La Violente Amour

Titel: La Violente Amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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derechef, pour parler d’un ton rechignant :
    — La
grand merci à vous, Moussu, mais nous avons le temps d’y songer : la paix
n’est pas pour demain. Et croyez-vous que vous saurez jamais vous passer de
moi, qui suis tout ensemble vos yeux, vos oreilles et votre bras ?
    — Dois-je
entendre que je suis sourd, aveugle et manchot ?
    — Non
point, Moussu, mais que mes sens et organes doublent les vôtres. Ainsi, pendant
que vous confériez – sans moi ! – avec M. de Rosny, j’ai promené
mes moustaches dans les rues de Saint-Denis surpeuplée – sa population
ayant triplé depuis que le roi s’y trouve – et j’y ai découvert un
gentilhomme, lequel est de retour à peine de sa province.
    —  Diga
me .
    — Et
lequel vous aurez, à voir, un plaisir extrême.
    — Son
nom ?
    — Tant
vous avez amitié à lui…
    — Son
nom ?
    — Et tant
aussi, il vous affectionne…
    — Son
nom, Cornedebœuf !
    — Jean de
Siorac, baron de Mespech.
    — La
Vertudieu ! Sais-tu où il loge ?
    — Sais-je
encore si je le sais ?
    — Ha !
Miroul, quelle tyrannie ! Suis-je encore ton maître ?
    — Qu’est-ce
qu’un maître qui se hasarde ès rues sans son serviteur ? Ramentez-vous, de
grâce, que l’unique fois que vous sortîtes seul dans Paris, le sinistre
Louchait faillit vous pendre.
    — Lequel
fut ensuite pendu par Mayenne pour avoir trempé dans l’exécution du président
Brisson.
    — Ce qui
ne vous eût pas ressuscité.
    — Miroul,
encore une fois, ce logis !
    — Moussu,
suis-je sans cœur ? N’avez-vous pas observé notre allure ? Nous y
courons.
    Je ne sais
plus quel vieux poète a écrit, parlant d’une rencontre de gens l’un à l’autre
très affectionnés :
     
    On
s’entrebaise ! On s’entrecolle !
    On
jase ! On caquète ! On bricolle  !
     
    Je suppose que
« bricolle » n’est là que pour la rime, car le verbe décrit
d’ordinaire le vol zigzagant d’un oiseau dans l’air, ce qui est loin assez de
l’agitation bien plus lourde que donne aux humains l’émeuvement des
retrouvailles. En fait de comparaison animale, mon père et moi, en nos
brassées, et barbe contre barbe, eussions davantage ressemblé à deux ours qu’à
deux hirondelles, et quant au « caquetage », le baron se borna à me
donner nouvelles de nos gens à Mespech, ce qu’il fit avec enjouement, ce que je
n’ouïs pas sans tendresse, mais qui fut bref, car Jean de Siorac était trop bon
huguenot pour ne pas passer incontinent à sujet plus substantiel.
    — Mon
Pierre, dit-il, avez-vous coupé vos blés du Chêne Rogneux ?
    — Les
blés, Monsieur mon père, dis-je en souriant, ne se coupent point céans si tôt
qu’en Périgord.
    — Ce que
j’ai vu, en effet, en ma chevauchée. Mais que ferez-vous de vos blés, une fois
coupés, battus et mis en sac ?
    — J’en
vendrai la plus grande part à un honnête courtier de Montfort l’Amaury.
    — Erreur,
Monsieur mon fils ! Il faudra (hélas, ce que je n’ai pu faire, vu la
distance) commander à votre majordome de venir vendre vos blés en Paris, pour
ce que la trêve ayant redonné la liberté de commerce à la bonne ville,
celle-ci, instruite par les nécessités et disettes passées, tâchera de se munir
de telle sorte qu’elle n’y retombe plus. Adonc, le débit de vos blés sera fort
bon, et le prix fort élevé. Il faudra seulement armer vos gens pour le chemin,
bien remparer votre charroi et veiller vous-même à ses sûretés.
    Ayant ainsi
ménagé mes affaires au mieux de mes intérêts – comme assurément il avait
fait des siennes en Périgord avant son départir – il me demanda ce qu’il
en était de la conversion du roi, dont on parlait partout en France, même en
Sarlat et aux plus lointaines provinces. Je lui en contai aussitôt ma râtelée
qu’il ouït avec l’attention la plus grande. Et moi, tandis que je lui parlais,
l’envisageant et ne lui trouvant ni bedondaine ni courbure, mais l’œil si vif
au milieu de ses rides, le teint si rose maugré son poil maintenant beaucoup
plus sel que poivre, le dos droit, le jarret tendu, la tête redressée, et cette
manière de mettre les mains aux hanches et les coudes en arrière qui sentait le
soldat, j’admirais qu’à soixante-dix-sept ans, il eût affronté les fatigues de
cet immense voyage de Sarlat à Paris pour voir son roi, embrasser mon frère
Samson, ma petite sœur Catherine et moi-même. Chose étrange, au moment

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