La Violente Amour
une petite moue.
— Du vin
de messe ? dit Fogacer en contrefeignant de sourciller. L’aurais-tu,
friponne, robé à Mgr l’évêque ?
— Que nenni.
Monsieur mon maître ! dit Jeannette, son teint d’abricot virant
délicieusement au rose vif, le sacristain de Mgr Du Perron me l’a baillé,
moyennant clicailles.
— Benoîte
Vierge ! dit Fogacer en joignant dévotement les mains, espérons que ce
vin-là me sanctifiera la langue, laquelle en a vu d’autres.
À quoi son
sourcil noir qu’on eût dit dessiné au pinceau, se relevant vers les tempes, il
rit derechef d’un rire qu’il coupa sec comme devant, et qu’il fit suivre de ce
sourire lent et connivent, par lequel il semblait laisser entendre plus de
choses qu’il ne disait.
— Mon
ami, dis-je, suivant de l’œil Jeannette qui saillait de la pièce d’un pas
allègre et sautillant, je suis bien aise de vous voir aussi bien installé en la
vie que rat en paille ou goupil au poulailler, vous que j’ai vu pourchassé par
le bras séculier de l’Église.
— Laquelle
Église de présent me protège, dit Fogacer, et c’est justice pour ce que j’ai
curé un de ses membres – je ne dirai lequel – d’une intempérie qui
étonne chez un homme de Dieu. Ainsi ai-je ascendé du bûcher auquel j’étais
promis jusqu’au rang de médecin personnel et conseiller particulier du très
auguste évêque lequel, à dire le vrai, monta, en son ascension, bien plus vite
et bien plus haut que ma sulfureuse personne, étant entré dans les Ordres en
1593 et quelques mois plus tard, ayant pris fort opportunément le parti du roi,
nommé par lui évêque d’Évreux.
— Ciel !
D’abbé promu évêque ! En quelques mois !
— Dieu
bon ! Quel bond ! dit Miroul.
— Mais,
dis-je, me trompé-je pas ? Du Perron n’était-il pas autrefois
huguenot ?
— Si
fait, mi fili ! Mais comme vous, il cala la voile. Et dès
qu’il se fut fait catholique, Henri Troisième fit de lui son lecteur, prisant
fort son esprit, son savoir et son rare talent d’écrivain.
— Ha !
dis-je, rien de tel, quand on est petite barque, que de s’amarrer au navire
amiral et d’épouser son sillage ! On n’y peut que grandir !
— Pour
moi, dit Fogacer en arquant son sourcil satanique, je m’apensai que si le bras
puissant de l’Église pouvait d’un huguenot faire un évêque, l’évêque, à son
tour, pourrait, d’un athéiste doublé d’un sodomite, faire un très passable
chrétien. J’écrivis donc à Du Perron, lequel j’avais connu lecteur du roi à la
Cour d’Henri Troisième, lui disant que j’aimerais devenir son médecin. Or, il
était mal allant. Sur l’heure, il me dépêcha un passeport de Navarre. Je vins,
je le vis, je le guéris. Il me guérit à mon tour, car dès que je l’aperçus,
archisublime en ses soutanes violettes, je compris la haute puissance de la
robe, et que non seulement, elle fait le moine : elle fait la femme aussi.
— Mon
ami, qu’entendez-vous par là ? dis-je, béant.
— Rien de
plus que ce que j’ai dit ! dit Fogacer avec son rire éclatant et bref,
suivi d’un sourire tant sinueux et tant insinuant qu’il démentait sa négation.
Cependant, la
Jeannette, sur laquelle je ne pouvais me retenir d’attacher l’œil, chaque fois
qu’elle entrait et saillait hors la pièce, vint dire à la parfin à son seigneur
et maître, avec une assez gauche révérence, que la repue était prête, la table
dressée et l’omelette, baveuse. On s’y mit donc gaîment, les dents bien aiguës
et les gorges bien sèches, gloutissant non seulement ladite omelette, mais le
jambon le plus moelleux que j’eusse mangé depuis celui que nous séchions, pendu
au plafond de la grand’salle de Mespech, le tout arrosé de ce petit vin de
messe qui n’était pas des pires, comme le fit observer Fogacer.
— Dieu,
dit-il, bénisse Mgr Du Perron d’avoir choisi un vin si délectable, pour ce que
son bouquet, assurément, doit aider prou à convertir ledit vin en le sang de
Notre Seigneur Jésus-Christ, ce que notre Église catholique appelle le miracle
de la transsubstantiation, quand on célèbre à messe le sacrement de
l’Eucharistie.
— Eh quoi
Fogacer ! dis-je, athéiste et théologien !
— C’est
que, mi fili, Mgr Du Perron m’a dicté le serment que les évêques
royalistes comptent exiger du roi pour l’admettre dans le giron de l’Église
catholique. Et comme Monseigneur m’a demandé de
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