La Violente Amour
je fus la voir à Londres. Ses admirables cheveux, épais et
foisonnants, étaient d’un blanc qui se ramentevait de leur blondeur d’antan et,
dernière coquetterie, elle avait jeté dessus eux, afin que de les couvrir en
partie, une gaze bleue qui répondait au bleu azur de ses immenses yeux. Ses
mains, couvertes de bagues, reposaient sur ses genoux avec un abandon que
démentait sa taille qu’elle redressait fort et la mâchoire qu’elle tenait haut
levée, tant pour roidir, je gage, un menton qui, sans être double, eût pu
montrer quelque mollesse, que pour m’écraser de sa contrefeinte hauteur.
J’entends bien
que céans, pour satisfaire tout à plein ma belle lectrice, je devrais pousser
le détail plus outre, touchant en particulier les bagues et la coiffure, les
premières fort grosses et fort belles, et la seconde, comme disait Michel de
Montaigne en parlant de ses coupages de vin, fort sophistiquée. Mais ce n’est
pas connaître l’homme. Combien que le soin que prennent nos élégantes de leur
beauté ne soit pour lui jamais perdu, il voit l’ensemble plus que le
particulier et la femme davantage que l’attifure qui la met en valeur.
Cependant, il ressent le tout. Et n’est-ce pas au fond ce qu’on veut ?
Mais puisque j’entretiens ici ma belle lectrice, avec la familiarité qu’elle
veut bien me permettre, je la voudrais avertir que, dans la scène qu’elle va lire,
la duchesse de Nemours va se révéler à elle d’une façon qui ne laissera pas de
la surprendre et se peut, de la scandaliser, si furieuse y apparaissant l’amour
qu’elle portait à Nemours que même son petit-fils Guise ne trouvait plus grâce
à ses yeux, dès lors qu’on le donnait comme rival à ce fils trop aimé.
Cependant, faite comme nous tous d’un tissu de contradictions, étant dans son
particulier comme dans les affaires publiques à la fois pénétrante et aveugle,
je voudrais dire qu’elle ne laissait pas d’aimer, comme plus tard je m’en
aperçus, ce petit-fils que dans cet entretien elle graffigna avec tant
d’allégresse. Mais c’est assez parlé de son être substantifique et revenons à
elle, puisqu’elle est là, assise sur son cancan, son ample vertugadin bouillonnant
si joliment autour de sa taille droite et m’adressant en même temps deux
regards, l’un, d’écrasante hauteur, et l’autre (embusqué derrière le premier)
par lequel elle guettait dans mes yeux l’effet qu’elle produisait sur moi. En
quoi elle dut être contente, car elle eut quelque mal à maintenir son accueil à
son prime niveau de froidure.
— Monsieur,
dit-elle à la parfin, le sourcil et le menton levés, j’espère bien que cette
fois vous n’aurez pas le front de vous jeter à mes genoux ni de me dévorer les
mains, comme vous ne craignez pas ordinairement de faire, façons qui ne
conviennent ni à mon rang ni à votre état.
— Madame
la Duchesse, dis-je avec un profond salut, ce n’est pas l’appétit qui défaille,
c’est l’audace, car je vois bien à votre œil impiteux que j’ai encouru le
déplaisir de votre Grâce et j’en suis infiniment marri.
— Mais,
Monsieur, vous ne le paraissez guère et pour que je le croie, il faudrait
apprendre à votre parlant œil bleu à mentir en même temps que vos lèvres. J’y
vois, bien au rebours, un petit brillement de plaisir que je trouve de la
dernière impudence.
— C’est
que mon plaisir est double, en effet, Madame. Et de contempler, après tant de
temps votre indestructible beauté et d’être, au surplus, tancé par vous de mon
absence.
— Votre absence !
s’écria-t-elle, qui a parlé de votre absence ? Peu me chaut votre absence,
maître drapier ! Elle eût pu durer un siècle qu’elle ne m’eût pas
incommodée.
— Madame,
dis-je d’un ton contrit, pardonnez-moi, j’ai moi-même tant pâti d’être privé de
la vue de vos charmes.
— Monsieur,
dit-elle, vous vous gaussez ! Votre vie n’est pas privée de charmes, je me
suis informée : Elle en déborde, tant à Paris qu’à Saint-Denis et en
Châteaudun. Raison pour quoi vous n’avez pas trouvé le temps, ces trois mois
écoulés, de visiter une dame qui, si haute soit-elle, on pourrait, si on était
méchant, qualifier de vieille.
— Vieille,
Madame ! m’écriai-je, mais sachant bien qu’avec les femmes, il y a un
moment pour leur obéir et un moment pour leur désobéir, je me jetai à ses
genoux et m’emparant de ses mains, je les couvris de mes
Weitere Kostenlose Bücher