La Violente Amour
apporté l’irréfutable preuve qu’il
n’y avait pas eu substitution, et que la maîtresse du Chêne Rogneux était bien
l’épouse que je chérissais et non la malheureuse fille dont j’avais appris à
détester la conduite. Mais que cette preuve, Angelina ne me l’eût pas
administrée plus tôt, se cantonnant, bien au rebours, ces trois années écoulées
dans un silence qui n’était rompu que par des petites lettres écrites de la
main de Florine, voilà qui me laissait béant. On eût dit qu’elle avait désiré
par une bizarre sorte d’orgueil me punir impiteusement de mes doutes à son
sujet, alors même que ses folies et son déportement à la mort de Larissa les
rendaient si naturels.
Je m’assis sur
mon lit, et tombai un long moment dans le pensement de ces années de tourments
et de doutes, lequel me fit grand mal, puisque je voyais bien qu’Angelina eût
pu me les éviter et sans pâtir elle-même du contrecoup de mon pâtiment. Je
demeurai béant – et en ma béance infiniment triste et marmiteux – que
l’être que j’aimais le plus, et dont j’étais le plus aimé, m’eût infligé, et
eût reçu de moi, tant de mortelles navrures, toutes inutiles : il eût
suffi d’une plume et d’un papier. Et me demandant comment j’allais de présent
en agir avec elle, lui faire, ou ne lui point faire, reproches, courir, ou non,
le risque d’affronter sa fierté sourcilleuse, et de raviver nos plaies en les
mettant nues, je m’avisai que le mieux que je pusse faire, c’était de la
rejoindre en sa chambre et de la prendre dans mes bras, mais sans dire mot, ne
sachant pas si les paroles, quelles qu’elles fussent, n’allaient pas gâter
notre précaire accommodement. Ce que je fis à la parfin, m’avisant combien elle
était de moi déconnue, après tant d’années passées à son côté, et me disant aussi
que tant plus on est proche par le cœur d’une personne – et le temps
apportant entre elle et vous d’inévitables malentendus – tant plus il
devient impossible de les éclaircir avec elle. Et que ce soit là sagesse ou, à
rebours, lassitude et lâcheté, à ce jour je n’ai pas tranché.
Encore que la
somme requise par les héritiers du vidame pour vendre La Surie ne pût être d’un
seul coup rassemblée et versée, l’affaire put se conclure la semaine suivante
au nom de Miroul, moi-même donnant ma garantie que le reste serait payé sous
trois mois, et les héritiers, en leur hâteté, leur insouciance, ou ignorance
des choses de la terre, laissant à Miroul les blés, ceux-ci, au prix où était
le setier de grains en Paris, montant, à ce que je calculai, à la moitié de
notre dette, sans que nous eussions d’autre peine qu’à les moissonner en même
temps que ceux du Chêne Rogneux : ce qui toutefois mit sur le pied de
guerre, et sur selle, et mes gens, et ceux de mon père et ceux de Quéribus,
pour ce que les voleries étaient telles par les temps de famine et les blés si
rares, et si renchéris qu’à peine les épis coupés étaient-ils rassemblés en
gerbes que des bandes armées de vaunéants couraient sus aux laboureux et les en
dépouillaient. Ces brigandeaux, maugré leur nombre, n’eussent pas eu le front
de s’attaquer à nous, mais la pique à la main, ils visitèrent nuitamment un de
nos métayers et se saisirent de tout son gerbier encore entassé sur son char,
du char lui-même et même des bêtes qui le traînaient : ce qui les perdit, car
un de ces courtauds n’ayant plus que trois fers sur quatre, leur trace fut
suivie, le char retrouvé, les chevaux reconnus et ces méchants remis au
sénéchal de Montfort qui les envoya tout bottés au gibet. Il fut alors décidé
que tous les gerbiers – les miens, ceux de La Surie et ceux des
métayers – seraient rassemblés dans la cour du Chêne Rogneux à l’abri de
nos murs, afin que de les soustraire à l’appétit des caïmans.
Mon Miroul, la
moisson faite et tandis que nos gens battaient les gerbes dans ma cour, voulut
avec moi parcourir à cheval les terres et les bois de La Surie, ce qui nous
prit une longue journée de l’aube à la tombée de la nuit, et nous laissa le cul
navré et les gambes trémulantes, mais toutefois, le cœur content, la mariée
étant plus belle encore que nous ne l’avions pensé. La repue prise, et comme
j’étais retiré dans un petit cabinet où je suis accoutumé à ménager les comptes
de mon domaine, on toqua à l’huis et mon Miroul, à mon
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