La Violente Amour
l’autre
s’aimassent fort, ils étaient continuellement à se battre, à se mordiller, à se
donner buffes et torchons, comme deux chiots, raison pour quoi Miroul ne leur
voulut bailler dague et épée qu’au combat, car sur un mot un peu vif, ils se
seraient occis.
Encore que
nous fussions, en cette chevauchée de Châteaudun à Rosny près d’une
centaine – les gentilshommes, qui étaient comme moi à M. de Rosny, amenant
chacun leur suite avec eux, et tous fort bien armés en estocs, arquebuses,
pistolets et pistoles, y ayant même avec nous un petit canon sur une charrette,
notre propos n’étant point le combat, mais le but à atteindre – on tâcha à
prendre les petits chemins afin d’éviter les encontres avec les ligueux, ce
qu’on ne faillit de faire qu’une fois où une troupe plus forte que la nôtre
menaçant à l’improviste de nous fondre sus, M. de Rosny lui dépêcha à la hâte
une trompette pour dire à leur capitaine qu’il ne cherchait pas le chamaillis,
mais seulement le passage, sa femme se mourant en son château et qu’il la
voulait assister en ses derniers moments. La trompette revint avec un billet du
chef ligueux exigeant un péage de mille écus pour nous laisser passer sans nous
molester, ce qu’accepta M. de Rosny sans un battement de cil, ne voulant mettre
la vie d’aucun d’entre nous au hasard d’un combat, s’agissant d’une entreprise
qui ne regardait que lui-même, et non pas le bien du royaume.
Pendant toute
cette longue trotte, M. de Rosny garda la face fort triste et ne dit mot,
déportement bien le rebours de son naturel, qui était dru, enjoué et gaillard.
Or, pour renfort de douleur, à peine fut-on arrivé au terme du périlleux
périple, et le château de Rosny à portée de main qu’on vit le pont-levis du
château se hausser et nous laisser hors. À quoi M. de Rosny, arrêtant sa
monture et apercevant la tête du portier au fenestrou du châtelet d’entrée,
s’écria, fort encoléré :
— Vilain,
qu’est-ceci ? Ne me connais-tu pas ? Ne sais-tu pas que je suis ici
chez moi ? Oses-tu bien me braver ? Et te mettre en péril de ton
col ?
— Ha,
Monsieur de Rosny ! dit le portier, je serais bien davantage au péril de
mon col, si je n’obéissais à Monsieur votre frère.
— Quoi !
s’écria Rosny, est-il céans ?
— Oui-da !
Et remparé de deux douzaines de gens de pié !
— Mande-le-moi,
vilain ! hucha Rosny au comble de la rage.
Mais le
portier n’eut pas à chercher loin, ledit frère apparaissant à sa place au
fenestrou, barbu comme Jupiter, et comme ycelui en ses images, le front serein.
— Monsieur
mon frère cadet, dit-il d’une voix unie, je vous souhaite le bonjour.
À cette
chattemitesse salutation M. de Rosny rougit de rage, mais se brida et
dit :
— Monsieur
mon frère aîné, je suis votre serviteur. Plaise à vous d’abaisser le pont-levis
et de me bailler l’entrant.
— Hélas !
dit l’aîné des Rosny avec un soupir, je le voudrais, et d’autant que j’entends
bien que vous avez appétit à visiter Madame votre épouse en son intempérie.
— Outre
que vous êtes mon frère, dit Rosny, c’est là, en effet, raison de plus pour me
déclore l’huis.
— Hélas !
Si ne peux-je, dit l’aîné des Rosny.
— Vous ne
le pouvez, Monsieur mon frère ? dit Rosny d’une voix que son ire faisait
trémuler. Vous ne pouvez ouvrir à votre frère qui vient rendre ses devoirs à sa
mourante épouse ?
— Je ne
le peux, hélas ! dit l’aîné, caressant sa barbe noire bouclée. Car la
Ligue, oyant par un coureur de M. de Recrainville qui vous a rançonné
avant-hier que vous étiez pour occuper Rosny avec une centaine de vos gens, m’y
a dépêché sur l’heure et je me suis à elle obligé de parole et d’honneur de ne
pas vous laisser l’entrant.
— Monsieur
mon frère, dit Rosny, je n’ignore point que vous êtes, et papiste, et ligueux.
Mais on peut être l’un et l’autre sans manquer à la chrétienne compassion.
Monsieur, ma femme se meurt. Je vous demande de rompre votre intempestif
serment et de me laisser l’entrant. Je vous le requiers au nom de l’humanité.
— Hélas,
Monsieur, dit l’aîné, je vous le dois refuser au nom de la parole donnée.
— Est-ce
là, dit Rosny, votre dernier mot ?
— L’ultime.
— Alors,
Monsieur mon frère, dit Rosny d’une voix tonnante, gardez vos hélas et vos
soupirs : vous épargnerez le vent et haleine
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