La Violente Amour
bien
dit, et sans la moindre ténébrosité, et mon regard allant de sa bouche à sa
prunelle, et de sa prunelle à sa bouche, plus je méditais sur ce que je venais
d’ouïr, plus je trouvais ce discours étonnant.
— Si bien
je vous entends, Madame, dis-je à la fin en lui prenant la main, le charme que
vous voulez bien trouver au soldat que je suis est de ne point vous devoir oppresser
par une présence continuelle, mais de vous laisser avant que vous soyez lassée.
— Monsieur,
dit-elle avec un air de confusion si joliment chattemite que les bras me
démangèrent de la serrer incontinent contre moi, il me semble que vous vous
mettez trop bas en cette occasion : votre charme n’est pas que de passer.
Sans parler de votre claire face et de votre membrature sèche et musculeuse,
vous portez un air de raffinement qui ne se prend qu’à la Cour. En outre, votre
appétit n’est point brutal, mais tendre et délicat. Avec mes chambrières même,
comme je l’ai observé, vous n’y allez point à la soldate, vous êtes poli et
cajolant, tant est que l’une, ou l’autre, se rendrait bientôt à merci, si je
n’y mettais ordre. Et j’y mets ordre en votre intérêt même, Monsieur le Baron,
puisque vous pouvez prétendre à plus. Qui aimerait se contenter du pot, quand
le rôt lui est assuré ?
À ce discours
tant candide, où toutes choses étaient si bien mises à plat qu’un aveugle y
aurait vu le jour, je restai sans voix, cette occasion étant bien la première
où toute la mousqueterie de la persuasion était tirée du bord féminin, et non
du mien. Et n’ayant pour une fois délicieusement rien à dire, je m’accoisai, et
me mettant à son genou, je lui baisai la main, fort surpris et ravi qu’on fît
mon siège, sans que j’eusse à monter moi-même à l’échelle ni sauter la
muraille.
— Monsieur,
poursuivit-elle avec une rougeur fort docile à son commandement, je ne voudrais
pas non plus que vous me trouviez trop facile. Ayant quelque vertu et quelque
apparence aussi à sauvegarder, en cela aussi je vous trouve infiniment
rassurant. À Châteaudun, vous ne connaissez, la Dieu merci, que moi, et étant
de votre qualité, vous n’irez point clabauder, et de toutes guises, vous n’en
aurez point le temps, ni même le désir, pour ce que la conquête de la veuve
d’un drapier ne vous serait pas à honneur.
— Madame,
dis-je avec feu, je voudrais que vous soyez assurée qu’elle me serait, si elle
se fait, autant à honneur que celle d’une duchesse. Cependant, je tiens que cet
honneur n’est point de ceux dont on se doit piaffer et paonner, trouvant, comme
mon ami Michel de Montaigne, je ne sais quelle bassesse en l’usage des hommes
de notre temps, lesquels osent en public indiscrètement pétrir et fourrager les
tendres et mignardes douceurs dont on les a dans le privé nourris.
— Ha !
Monsieur ! dit-elle en battant du cil, le parpal houleux, c’est parler là
en homme de cœur ! Je vous sais un gré infini de vos bonnes dispositions,
et pour dire le vrai, je suis au comble du ravissement de me pouvoir abandonner
avec vous à l’inclination que j’ai conçue, sans du tout craindre pour ma
réputation. En outre, poursuivit-elle avec un soupir, le lien que voici ne se
devant nouer que pour huit petits jours, je n’aurais même pas à l’avouer à mon
confesseur, étant bien assurée que ce n’est point pécher que de pécher si
passagèrement.
À ces mots ma
conscience huguenote se rebroussa quelque peu, mais emporté que j’étais déjà
dans le feu du moment, je pris le parti de la faire taire en m’accoisant
moi-même et de l’étouffer, pour ainsi dire, par mon silence, mes lèvres ne se
voulant occuper qu’à couvrir les mains de la belle drapière de mes enflammés
baisers.
— Monsieur,
dit-elle en parlant d’une voix étouffée, comme si le vent et haleine s’en
allaient d’elle, Monsieur, dit-elle en se levant, c’est assez… Cette porte se
pourrait déclore. Je m’ensauve, et vais, sous quelque prétexte, envoyer mes
chambrières à ma maison des champs. Dès qu’elles seront hors, la maison est à
nous. J’aurai l’honneur de cuire moi-même votre rôt et de vous le servir en
votre chambre. Monsieur, j’y vais vaquer. Ayant si peu à attendre du temps,
l’heure me paraîtra année que serai de vous absente.
CHAPITRE III
Je me
ramentois avoir ouï mon père dire un jour à mon oncle Sauveterre – qui le
tabustait sur ses
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