La Volte Des Vertugadins
qu’au moment où je me faisais à moi-même cette fervente
promesse, notre pauvre Roi n’avait plus que trois années à vivre ?
Je me sentais à cet instant saisi de tant d’ivresse –
la sotte injure de la Reine ayant glissé sur ma peau sans y laisser de
trace – que regardant mon père comme l’homme à qui je devais tout, et ma
faveur présente, et ma grandeur future, je le saisis par la main et le priai de
ne me pas quitter tant que je n’aurais pas trouvé Monsieur de Réchignevoisin.
Il y consentit, souriant de ma requête, mais sentant bien ce qu’il y avait
d’amour derrière ce puéril élan.
Élevé déjà si haut en mon imagination, je regardais la foule
des courtisans que nous traversions comme une sorte de fourmilière dont les
insectes, pris d’une folle agitation, couraient dans tous les sens, sans
réfléchir que ces fourmis avaient au moins ma taille, les dames étant même plus
volumineuses que moi en raison de l’ampleur de leur vertugadin. En somme,
j’étais l’une d’elles et je courais moi aussi, pressé de porter à destination
le message que le chef des fourmis m’avait confié.
Je ne sais comment, à moins qu’il ne fût mieux fourni en
antennes que la plupart d’entre nous, le Chevalier de La Surie, fluet comme une
lame, mais rapide comme elle, réussit à nous retrouver dans cette presse, mais
il y parvint et me baisa incontinent sur les deux joues, mais sans question
poser, entendant bien, rien qu’à voir ma radieuse face, combien j’étais heureux.
Madame de Guise réussit, elle aussi, à me rejoindre, mais par une autre
méthode, en donnant de la voix et demandant autour d’elle à tous les échos, et
fort impérieusement : « Où est mon filleul ? Où est mon
filleul ? » Phrase que tous ceux qui l’ouïrent traduisirent
mentalement par : « Où est mon fils ? Où est mon
fils ? » On la rabattit enfin sur moi, qu’elle faillit étouffer sous
ses embrassements, et sans ouïr mes protestations – car je n’oubliais pas
que j’avais un ordre à porter à Réchignevoisin – elle nous entraîna tous
trois dans sa chambre à coucher où, l’huis à peine clos sur nous, elle me fit
tant de questions, et si pressées, et si véhémentes, que je n’aurais jamais pu
réussir à y répondre si mon père, tel Poséidon calmant les mers houleuses d’un
coup de son trident, n’avait réussi à ménager une bonace dans cette tempête de
paroles.
Ma bonne marraine fut transportée d’aise d’apprendre que le
Roi avait été à mon endroit si bénin et gracieux que de m’appeler son
« petit cousin », mais passa du bonheur à la fureur, quand je lui
répétai le « cugino de la mano sinistra » de la Reine. Le
rouge partit de la racine de ses cheveux blonds et recouvrit en un instant ses
joues, son cou et, chose étrange, la partie visible de ses tétins. Et elle fut
une pleine seconde, la bouche ouverte comme un poisson, avant de retrouver
assez de souffle pour pouvoir exhaler son courroux. Elle allait, dit-elle,
incontinent, lui chanter pouilles à cette grosse banquière, à cette pataude, à
cette balourde, et cette venimeuse éléphante (et poursuivant en langue
italienne, celle-ci lui paraissant mieux convenir à l’objet de son
ressentiment) à cette « megera » ! À cette « stupida » !
À cette « bisbetica [23] » ! À cette
« bestia feroce » !
— Or sus, mon fils ! dit mon père en emprisonnant
dans les siennes les deux mains de Madame de Guise, courez sans tant languir
porter à Réchignevoisin le commandement du Roi. Je demeure céans.
— Je t’accompagne, mon mignon, dit La Surie.
Vif et léger comme il était, il passa le premier le seuil.
Je fermai l’huis derrière nous, laissant mon père à la tâche modératrice qui
était son lot quasi quotidien. Pour moi, loin de partager l’ire de Madame de
Guise contre la Reine – ire dans laquelle je trouvais un élément de
comédie –, j’aurais voulu que ma bonne marraine eût fait plus de cas de la
réponse irréprochable, et à mes yeux aussi tant « bene trovata [24] » que j’avais faite à Sa
Majesté. Quant à l’idée que Madame de Guise pût chanter pouilles à Marie de
Médicis, j’étais bien persuadé que, même si mon père ne passait pas la laisse
au cou de sa lionne, la morsure ne prendrait pas le relais des imprécations. Si
l’on excepte la monstrueuse Léonora Galigaï qui régnait en maîtresse sur les
pensées,
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