La Volte Des Vertugadins
et
je reconnus Madame de Guise à son parfum. J’eus le bon esprit de fermer les
yeux aussitôt. Elle me secoua.
— Quoi ! dit-elle, haletante, vous dormiez !
Vous ne les avez pas ouïs ! Qui eût pensé que ce gros sottard de
Réchignevoisin les aurait fourrés là sans me prévenir !
— Mais qui, Madame ? dis-je innocemment.
— La Reine et Sully.
— La Reine et Sully ? dis-je en feignant
l’incrédulité. Ici ? Dans le cabinet vieil ?
— Vous n’avez donc rien ouï ?
— Mais ouï quoi, Madame ? dis-je en me frottant
les yeux.
— Dieu merci, dit la Duchesse, nous sommes saufs !
Sully n’a pas songé à retirer le paravent. La raison en est sans doute que pour
assurer votre tranquillité, je vous avais enfermé et remis la clé à
Réchignevoisin sans lui dire que vous étiez là, folle que j’étais ! Et
comment Sully aurait-il pensé que quelqu’un se trouvait dans la place, alors
que Réchignevoisin avait déverrouillé la porte pour le laisser entrer ?
Et pourquoi je dissimulai alors la vérité à ma bonne
marraine, je ne saurais le dire au juste, sinon que je le fis d’instinct, dans
le chaud du moment, et peut-être parce qu’ayant décidé, si Sully me découvrait,
de jouer l’ahuri et le mal réveillé, je fis de même pour Madame de Guise, plus
par une sorte de mécanisme que par prudence.
— Toutefois, vous fîtes bien, me dit mon père, quand je
lui contai l’affaire. Votre marraine n’est pas incapable de discrétion, mais
elle s’encolère facilement, même contre la Reine, et dans ses fureurs, elle ne
se connaît plus et pourrait faire une damnable allusion à la scène que vous
avez ouïe. La Reine ne vous l’aurait jamais pardonné.
— Eh quoi ! dis-je béant. Madame de Guise ose
quereller la Reine ?
— Oui-da ! Et à telle enseigne que la Marquise de
Guercheville lui dit un jour : « Ah ! Madame ! Oubliez-vous
que la Reine est votre maîtresse ? » À quoi votre bonne marraine
répondit hautement : « Madame, sachez que je n’ai qu’une maîtresse en
ce monde : c’est la Vierge Marie. »
— Voilà qui sent bien un peu sa ligueuse ! dis-je
en riant.
— En tout cas, dit mon père, cela prouve qu’elle
n’oublie pas qu’elle aurait pu être reine de France, si le Duc de Guise avait
eu autant d’esprit qu’Henri III.
— Était-il sot ?
— Nullement. Mais il n’était pas assez fin pour
entendre à quel point Henri III le surpassait en finesse et, le moment
venu, en résolution. Le fond de l’affaire, c’est qu’il le déprisait parce qu’il
était bougre. Lui-même était un homme de haute taille, musculeux, viril,
couvert de femmes. Et parce que le Roi était efféminé, il le croyait faible.
Dans son outrecuidance, il pensait que jamais Henri III n’aurait assez
d’audace pour concevoir l’idée de le tuer, ni assez d’habileté pour lui dresser
un guet-apens aussi bien machiné que celui du château de Blois. Cette erreur
lui fut fatale.
Ces paroles de mon père, je les rapporte ici, mot pour mot
(respectant jusqu’à son « dépriser », forme désuète de
« mépriser ») parce qu’elles me paraissent ajouter un jugement sur le
Duc de Guise dont je n’ai pas souvenance que mon père ait fait état dans le
récit de la double meurtrerie de Blois dans ses Mémoires.
Pour en revenir à Madame de Guise, en me laissant, à moitié
rendormi déjà, sur la couche du cabinet vieil, elle m’assura que cette fois,
elle ne m’enfermerait pas à clé et qu’elle viendrait dans une heure de temps me
désommeiller afin que je puisse reprendre ma place au bal et charmer derechef
« toutes ces petites personnes » de mes « impertinences ».
Elle dit cela avec un sourire ravissant en me baisant sur les deux joues.
Je ne sais ce qui lui passa dans l’esprit après qu’elle
m’eut quitté – peut-être quelque nouveau souci suscité par ses fils ou par
la Princesse de Conti – mais le fait est qu’elle m’oublia tout à trac. Le
soleil, seul, me réveilla, pénétrant à travers les lourds rideaux de damas, et
dès que je les eus tirés, me dardant une migraine au fond de l’œil. Je trouvai
tout soudain le cabinet vieil étouffant et sortis, le pas chancelant et les
membres courbatus, dans le passage qui menait à la grand’salle, laquelle je
trouvai étrangement silencieuse et vide, à l’exception du chambellan et de
quelques domestiques. Monsieur de Réchignevoisin, les yeux rouges
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