La Volte Des Vertugadins
Fleuri.
CHAPITRE VII
J’ai quelque raison de me souvenir du 2 janvier 1608,
année seizième de mon âge, pour ce que, à partir de ce jour, la froidure fut
extrême en Paris et la gelée si âpre que la rivière de Seine fut immobilisée en
son flux par les glaces, celles-ci emprisonnant les barques et les gabarres du
quai au Foin devant le Louvre, à telle enseigne que les grands charrois qui se
faisaient par les rivières à partir des villages d’amont furent interrompus,
réduisant à la portion congrue gens et chevaux et renchérissant toute chose,
mais en particulier le bois qui manqua d’autant plus vite que le froid
contraignait les Parisiens à en brûler davantage.
Nous n’eûmes pas, quant à nous, à souffrir de cette
incommodité, pour la raison qu’un vent violent ayant abattu quelque temps
auparavant un frêne centenaire dans notre Seigneurie du Chêne Rogneux, mon père
le fit tailler en bois de chauffage et, pensant se garnir pour deux hivers, en
amena une grande charrette en notre hôtel parisien, tant est que, notre bûcher
étant plein, il fallut entasser le reste, qui était considérable, contre le mur
qui nous séparait de la rue du Chantre.
Peut-être dois-je rappeler ici que notre hôtel se dresse
entre la rue du Champ Fleuri où porte cochère et porte piétonne permettent de
pénétrer en notre cour, et de l’autre côté, la rue du Chantre, par laquelle on
ne peut entrer dans notre jardin que par une petite porte en plein cintre si
bien remparée qu’il faudrait, selon mon père, rien moins qu’un pétard de guerre
pour en venir à bout.
Mon père, au moment de nos guerres civiles, avait rehaussé
les murs nous séparant de l’une et l’autre rue, la Ligue ayant tenté, par deux
fois, de l’assassiner. Pour la même raison, il avait loué l’Aiguillerie qui, de
l’autre côté de la rue du Champ Fleuri, commandait des vues sur notre cour. Et
il y avait logé Franz, notre maggiordomo, et sa femme, Greta. La paix
revenue, et la Ligue, sinon morte, du moins tapie dans ses terriers, mon père
observant que les bandes de mauvais garçons avaient pris dans tous les
quartiers, même ceux proches du Louvre, le relais des attaques nocturnes, des pillages
et des meurtreries, n’avait rien changé à ses dispositions défensives et il
gardait le jour à l’attache, et détachés la nuit, deux grands dogues dans le
jardin et un autre dans la cour, celle-ci lui paraissant moins vulnérable pour
la raison que nos soldats y logeaient.
La froidure continuant plus âpre que jamais et le bruit
s’étant répandu dans notre rue que nous avions abondance de bois, nous eûmes de
nos voisins de pressantes demandes, une bûche – vous avez bien lu, une
bûche – se vendant jusqu’à cinq sols à Paris.
Mon père eut à ce sujet un petit entretien fort animé avec
la Duchesse de Guise : elle tenait que mon père se devait de donner de son
bois aux familles nobles de sa rue, fort peu aux bourgeois et pas du tout aux
gens mécaniques [32] . Mais de vente point ! Cela
déshonorerait le Marquis de Siorac.
— Cependant, Madame, vous vendez votre bois dans vos
terres, et moi dans les miennes !
— Fi donc ! Monsieur ! Je ne suis pas partie
à ces barguins ! Mon intendant s’occupe de tout.
— Et prélève en passant sa dîme, laquelle doit bien
s’élever à la moitié des pécunes.
— Il se peut.
— Ne pourriez-vous pas au moins mettre le nez dans ses
comptes ?
— Y pensez-vous ? Cela ne serait pas digne de mon
rang !
— Votre rang vous coûte cher, Madame. Et puisque nous
en sommes à méditer sur le point d’honneur de la noblesse, expliquez-moi, de
grâce, pourquoi il est déshonorant de vendre quelques bûches au détail et
honorable de vendre tout un bois par l’intermédiaire d’un coquin d’intendant
qui vous vole effrontément ?
— Je ne saurais l’expliquer. C’est ainsi.
Mon père fit mine de s’incliner, le « c’est
ainsi » dressant une évidente borne à la discussion. Mais elle reprit dans
un autre registre avec le Chevalier de La Surie.
— Le préjugé de la noblesse étant si fort contre la
vente au détail, lui dit mon père en ma présence, je ne l’affronterai pas et me
garderai bien d’apparaître dans ces transactions. Elles se feront par Franz à
l’Aiguillerie, de majordome à majordome. Il vendra au prix fort aux nobles et
aux bourgeois. Et aux gens mécaniques, véritablement démunis, du moins ceux de
la
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