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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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devant notre porte cochère comme s’il voulait demander
l’entrant, mais sans donner de la voix ni démonter, ni frapper à l’huis, son
cheval, en revanche, hennissant comme fol. Je mis manteau et chapeau, et suivi
de Pissebœuf et de Poussevent, je sortis par la porte cochère pour voir ce que
nous voulait cet étrange visiteur.
    — Il ne vous le dira pas. Monsieur. Il est gelé à mort,
dit Franz qui, originaire de Lorraine, savait mieux que nous ce qu’était le
froid.
    — Mais s’il était gelé, dis-je, il tomberait de cheval.
    — Il ne le peut, dit Poussevent, en posant la main sur
la cuisse de l’homme. Elle est raide comme bois, de sorte que la pince de ses
jambes le tient assis sur sa monture comme un soldat de plomb.
    Je voulus en avoir le cœur net et commandai qu’on ouvrît la
porte cochère et qu’on l’amenât dans la cour. Mais on eut toutes les peines du
monde, le cocher Lachaise accouru à notre aide, pour enlever le cavalier de sa
monture, ses deux jambes faisant l’arceau autour du ventre du cheval, et un
arceau rigide. Il fallut enlever la sangle de la selle et enlever celle-ci de
dessous lui en le soulevant afin de donner plus de jeu, et de cette façon on
réussit, poussant et tirant, à le faire passer par-dessus la tête du cheval, et
le mettre à terre où toutefois, quoi qu’on fît, ses jambes gardèrent la forme
d’arceau et leur angle bizarre par rapport au corps. Ce qui fit dire à
Pissebœuf : « Celui-là, je me demande bien quelle sorte de cercueil
il lui faudra faire pour le porter en terre ! »
    Personne de chez nous, et nos voisins non plus, ne
reconnaissait l’homme, mais le cheval, un hongre alezan de bonne taille, nous
était bien familier. Mon père, deux mois plus tôt, l’avait vendu au Roi. Ce qui
expliquait que son cavalier faillant à le diriger, le hongre devenu son propre
maître l’avait conduit à nos écuries, lesquelles il préférait sans doute aux
écuries royales, le picotin étant moins chiche ou le valet plus caressant.
    J’envoyai un de nos pages au prévôt qui me dépêcha son
lieutenant et fit enlever le quidam dans un chariot ouvert, ce qui suscita de
vives curiosités dans notre rue et dans les rues circonvoisines pour la raison
que le corps du pauvre gelé gardait dans la mort son étrange posture.
    Vitry nous manda dans la soirée, mon père et La Surie étant
de retour au logis, que le cavalier avait été reconnu pour être un courrier du
Roi envoyé la veille à Amiens et qui, fort pressé (par une amourette qui lui
tenait fort à cœur) de s’en retourner à Paris, commit l’imprudence de voyager
la nuit et s’endormit sur sa monture. Sommeil qui lui fut fatal. Vitry ajoutait
que le Roi trouvait bon que mon père gardât le hongre, ses courriers étant trop
superstitieux pour monter un cheval sur lequel l’un d’eux avait trouvé la mort.
    Le lendemain était un dimanche et mon père ayant été appelé
tôt le matin au Louvre, j’allai avec La Surie à la messe à
Saint-Germain-l’Auxerrois où officiait Monsieur le curé Courtal, lequel
consacra son prêche à la mauvaiseté de la saison en laquelle il voyait une
terrible punition du ciel pour les impiétés et iniquités des hommes.
    — Car jamais, dit-il, on n’avait vu de mémoire d’homme
le gel tuer tant de monde à Paris, et chose bien étrange encore et de bien sinistre
augure, le vin se geler dans le calice de l’église de Saint-André-des-Arts au
moment où le prêtre fallait consacrer ! Comment, pourtant, s’en étonner,
quand trois mois plus tôt, le 7 septembre 1607 (ces trois sept n’annonçant
eux-mêmes rien de bon), était apparue dans le ciel une grande comète, suivie
d’une queue fort large et fort longue : signe indubitable de la colère de
Dieu. Et en effet, trois mois ne s’étaient pas écoulés qu’un grand froid, tombé
du ciel, gelait routes et rivières et, faute de charrois, réduisait notre
moderne Babylone à la disette, de sorte que lorsque le gel ne tuait pas les
gens incontinent, il les condamnait à une mort plus lente en les affamant.
Hélas ! Il n’était que trop clair, comme l’affirmaient les astrologues,
qu’étant advenu trois mois après la comète, le gel resterait trois mois encore
parmi nous, faisant chaque jour davantage de victimes.
    En conclusion, Monsieur le curé Courtal exhorta ses ouailles
à prier, à se repentir de leurs fléchés, à se montrer plus assidues à confesse
et à la communion,

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