La Volte Des Vertugadins
savais-tu pas que je donne deux bûches à ceux de
ma rue qui n’ont rien ?
— Par malheur, je ne suis pas de votre rue.
— Comment savais-tu que j’avais ce grand tas de
bois ?
— Dans notre paroisse, il n’est fable que de ce
bois-là. Et je l’ai appris ce dernier dimanche à la messe.
— Mariette, dit mon père après un silence, assieds-moi
cette garce sur un tabouret, là, près du feu, et donne-lui du vin chaud et une
tranche de pain.
Ce que Mariette fit bien volontiers, me sembla-t-il, ayant
la fibre maternelle. Il y eut un grand silence chez tous et toutes, debout
autour de la garcelette, tandis quelle buvait son vin chaud et mangeait sa
tartine.
— Garce, dit mon père, ne mange point ton pain si
vite ! Que ton gaster va le rendre ! Mange par petites bouchées et
mâchelle chacune d’elles.
J’eusse fait cette gageure que cela nous faisait à tous
grand plaisir de la voir se goulafrer ainsi – à tous, sauf à Toinon qui
l’envisageait fort froidureusement, tenant toute femme pour son ennemie qui
avait jeunesse et beauté, et certes, pour la petite pêcheuse de bûches, il ne
serait que de la débarbouiller pour qu’elle brillât de sa face presque autant
que de ses cheveux d’or.
— Comment te nomme-t-on, garce ? dit mon père d’un
ton plus doux.
— Margot, pour vous servir.
— Tu parles au Marquis de Siorac, fillette, dit
Mariette en posant une main large comme un jambon sur l’épaule de la voleuse.
— Pour vous servir, Monsieur le Marquis, dit Margot.
— Eh bien, Margot, dit mon père, qu’allons-nous faire
de toi ?
À cela, elle haussa les sourcils et haussa les épaules d’un air
plus résigné qu’effrayé, ne se voyant pas d’avenir au-delà de la minute
présente et sachant bien que voler une bûche, fût-ce par grand froid, était
crime et puni de corde.
Comme elle ne répondait point, Toinon dit d’une voix forte
et claire :
— La remettre au prévôt pour qu’il la pende ! Vol
ou tentative de vol, c’est tout un !
— Que voilà une impiteuse pécore ! dit Poussevent,
qui, de toute façon, n’aimait guère Toinon qui haussait fort le bec avec lui,
ayant été une des « nièces » de Monsieur de Bassompierre et assumant
en notre logis les fonctions que l’on sait.
— Margot, dit mon père, sans daigner jeter l’œil sur
Toinon, je m’arrangerai avec le curé Courtal pour qu’il ouvre la terre pour ta
mère en son cimetière sans qu’il t’en coûte. En attendant, tu peux demeurer
céans, le temps du grand froid. Mariette te donnera à coudre, point tant de
soie que de toile et de lin. Et maintenant, reprit-il d’un ton expéditif,
puisque le vin est bu, que chacun retourne se coucher en sa chacunière.
Quoi oyant, Margot alla à lui et, sans dire un mot, lui
baisa la main, ce qui fit que nos chambrières échangèrent des regards. Je dis
bonsoir à mon père et montai à l’étage où je me rencontrai avec le Chevalier de
La Surie dont la chambre jouxtait la mienne.
— Chevalier, dis-je à mi-voix, ne craignez-vous pas que
ma bonne marraine monte sur ses grands chevaux quand elle verra céans ces
cheveux d’or et ce minois ?
— Mon neveu, il faut savoir affronter quelques petites
incommodités quand on fait son devoir.
En prononçant le mot « devoir », La Surie fit un
petit sourire et son œil marron se mit à briller tandis que son œil bleu
restait froid.
Le gel continua dans les semaines qui suivirent et gagna
même en intensité, tant est que des rochers, dans la forêt de Fontainebleau, se
fendirent et d’autres même éclatèrent en fragments, ce qui m’étonna fort car je
croyais, jusque-là, que « geler à pierre fendre » n’était qu’une
façon de parler. Dans les rues, le guet trouvait chaque nuit des personnes que
le froid avait saisies, engourdies et tuées. Le quatorze janvier, à la pique du
jour, notre laitière fut retrouvée morte, allongée sur le pavé, la tête appuyée
sur son pot de lait.
Mais le quinzième jour de janvier, qui était un samedi, il
arriva quelque chose de beaucoup plus surprenant. Mon père et La Surie ayant
été appelés au Louvre, j’étais seul dans la grand’salle du logis avec
Mademoiselle de Saint-Hubert, occupé à apprendre de sa bouche l’italien et
aussi à la regarder (Toinon, en sa jaleuseté ne manquant jamais de traverser la
pièce et de jeter l’œil sur nous) quand Franz vint et me dit qu’un cavalier
tournait et retournait
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