La Volte Des Vertugadins
prie ? Un
métier mécanique !
— En sais-tu davantage toi-même ?
— Assurément. De même qu’il y a septante diables dans
l’enfer, il y a septante caresses par lesquelles une femme peut rendre un homme
heureux et je les connais toutes.
— Comment sais-tu qu’il y a septante diables dans
l’enfer ?
— Je l’ai ouï dire ainsi.
Je ne voulus pas débattre là-dessus et revins à mon propos.
— Mais, dis-moi, pourquoi as-tu si mauvaise dent contre
Margot ?
— La pécore est de la dernière insolence.
— Elle ? Avec qui ?
— Ah ! Je ne l’entends pas comme cela. C’est sa
chance qui est insolente. Elle vient contre notre mur sur une méchante
chanlatte pêcher une bûche et elle attrape un marquis.
— C’est donc qu’un chevalier ne te suffit point,
dis-je, piqué.
— Oh ! mon mignon ! dit-elle avec un sourire
et passant sur ma nuque une main légère, vous êtes cent fois à ma suffisance.
Fût-ce l’effet du compliment ou une des vertus des septante
caresses de l’enfer, je ne sais, mais je sentis bien que je me dépiquais.
— Ainsi, repris-je, tu ne le diras pas à Madame de
Guise.
— Tant promis, tant tenu. Voyez-vous cela, dit-elle,
toute fiérote, comme mon beau mignon a peur de me perdre ! De reste,
ajouta-t-elle avec un air de tristesse, cela arrivera tôt ou tard.
— Et pourquoi ?
— Parce que je voudrais un mari à mener par le bout du
nez, une maison qui soit à moi et une servante à qui commander.
— Mais seras-tu plus heureuse ainsi ?
— Je ne sais.
Elle reprit :
— C’est pourtant bien ce que je veux.
*
* *
Les astrologues, suivant leurs savants calculs, Monsieur le
curé Courtal, en se fondant sur la valeur mystique du chiffre trois, avaient
annoncé que l’âpre gel dont Paris souffrait depuis le premier janvier allait
durer trois mois. Il n’en fut rien. Le vingt-six janvier, le dégel survint et
se poursuivit les jours suivants, transformant les rues de la capitale en
bourbier et amenant à sa suite un brouillard épais et puant. Mais, en dépit des
souffrances dont souffrirent nez et gorges, le soulagement parmi les plus
pauvres fut immense du fait que les charrois sur la rivière de Seine reprirent,
la disette cessa et les prix baissèrent.
Notre petite couseuse de soie ne partit pas avec la fonte
des neiges et personne, en notre domestique, ne s’en étonna ni n’en jasa, les
langues, sur ce sujet, restant gelées. Ce silence me fit entendre combien il
avait été de ma part sottement officieux de faire la leçon à Mariette et à
Toinon : la mise en garde avait dû venir plus tôt, de plus haut, et avec
plus de poids.
Je surpris deux ou trois fois les yeux de Toinon adressant à
Margot de méchantes pistolétades. Mais le bec n’osa pas prendre le relais de
l’œil. Margot restait close derrière ses paupières baissées, belle et dorée
comme une image, taciturne, discrète, et aux repas de nos gens qui se prenaient
dans la cuisine, mangeant sans mot dire, regardée, mais non regardante. De
reste, nulle péronnelle n’eût pu l’assaillir, et nul homme lui donner le bel
œil, tant Mariette montait autour d’elle une vigilante garde. Et assurément
nul, mâle ou femelle, n’eût osé affronter Mariette en ses colères, tant on
avait peur de sa terrible langue.
Margot était, de reste, la plupart du temps, invisible dans
sa chambre, laquelle s’ouvrait sur l’escalier de la tour d’angle, juste
au-dessus de celle de mon père. Douze marches l’en séparaient. J’ouïs dire, par
Mariette, qui la couvait comme sa fille, que la garcelette était fort
laborieuse et qu’il fallait ne lui point donner trop d’ouvrage à la fois :
sans cela elle eût veillé pour l’achever. Il lui arrivait, en compagnie de
Mariette, de prendre l’air dans le jardin, après le dîner et, de ma fenêtre, je
l’y vis plusieurs fois, distrait de mes livres par ses cheveux d’or. Mais,
oyant une fois un cocher demander l’entrant à la porte cochère de la cour pour
son carrosse, elle s’envola comme une tourterelle jusqu’au viret de la tour
d’angle et je l’entendis qui en montait les trois étages pour se réfugier dans
sa chambre, verrouillant l’huis derrière elle.
Quant à Mariette, elle passa vivement du jardin à la cour
pour s’assurer s’il y avait lieu de redouter la personne qui allait descendre
du carrosse (lequel, étant de louage, ne portait pas de blason) et moi-même
quittant ma
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