La Volte Des Vertugadins
assurance qui montrait bien qu’il
savait ne pas être importun, il se dirigea tout droit vers le lit du Roi et, se
penchant, lui parla à l’oreille. Le Roi pâlit, puis à sa pâleur succéda un
sourire et, se tournant vers moi, l’œil en fleur, il me dit d’une voix fort animée :
— Mon petit cousin, c’est assez lu pour l’instant.
Mais, demeure, je te prie. J’aurai derechef affaire à toi.
Je lui fis une belle révérence et, me rasseyant, je me tins
coi sur mon tabouret, L’Astrée sur mes genoux, les lèvres closes, mais
les yeux grands ouverts car après un chuchotement à voix basse à l’oreille de
Montespan, le plus grand remue-ménage se produisit tout soudain autour de la
couche royale. On apporta une cuvette d’eau afin que le Roi se pût rincer le
visage et les mains ; on le peigna, ce qui m’étonna fort, car je savais
par mon père combien il avait horreur qu’on lui touchât les cheveux ; on
lui ôta sa chemise, laquelle, à la vérité, ne m’avait paru ni très propre ni
très belle, et on la remplaça par une chemise d’un blanc immaculé dont les cols
et les poignets étaient fort garnis en dentelles ; et enfin, on le
pulvérisa de parfums – lui qui ne les aimait guère – dans le cou, sur
les joues, sur les cheveux et les mains. Le plus grand silence régna dans la
chambre pendant cette toilette, tant elle paraissait insolite à la trentaine
des courtisans des deux sexes qui se trouvaient là et qui, quoique debout, et
fort lassés de l’être, n’auraient pas donné le peu de place qu’ils occupaient
pour un Empire dans l’attente du grand événement que ces préparatifs
annonçaient.
— Faites entrer, Montespan ! dit enfin le Roi
d’une voix claire.
Montespan, sans ménagement aucun, entreprit de libérer
l’entrant de la chambre en repoussant des deux bras les courtisans des deux
côtés de la porte, ce qui n’amena aucune protestation de la part des repoussés,
tant la curiosité les tenait. Ayant ainsi fait place nette, Montespan sortit et
revint aussitôt après, précédant, avec un certain air de pompe, Madame la
Duchesse d’Angoulême et Mademoiselle de Montmorency, la première ayant l’air
d’un lourd vaisseau de haut-bord, suivie dans son sillage, par une gracieuse
frégate.
Cette apparition provoqua, chez les spectateurs, un
bruissement de chuchotements, mais qui s’apaisa presque aussitôt. Henri, bien
qu’à l’évidence fort ému, donna alors la preuve de cette capacité de décision
qui lui avait valu, dans un autre domaine, sa réputation de grand capitaine.
— Ma bonne cousine, je suis votre serviteur, dit-il à
la Duchesse en lui tendant, sur le côté droit du lit, sa main à baiser. Siorac,
poursuivit-il, en s’adressant à moi, donnez, je vous prie, votre tabouret à ma
bonne cousine d’Angoulême, et vous, M’amie, reprit-il en s’adressant à
Charlotte, venez vous asseoir céans dans la ruelle, où je désire vous
entretenir.
Ayant ainsi séparé, d’un mouvement aussi prompt qu’habile,
la jeune fille de sa duègne, et mis entre elles toute la largeur de son lit, il
pria Mademoiselle de Montmorency de s’asseoir au plus près de son chevet et, se
penchant vers elle, approchant son visage du sien quasi à le toucher, il
commença à conciliabuler avec elle à voix basse. Un silence prodigieux se fit
alors parmi les témoins de cette rencontre, chacun ayant l’oreille, comme
aurait dit Pissebœuf, « à deux pouces de la tête tellement il la tendait ».
J’étais, à vrai dire, le mieux placé de tous avec la Duchesse d’Angoulême pour
ouïr cet entretien, étant resté debout auprès d’elle quand je lui avais laissé
mon tabouret. Mais, par malheur pour elle, la Duchesse n’avait plus l’ouïe
assez fine, et bien que sans vergogne aucune, elle mit la main en cornet autour
de son oreille, je doute fort qu’elle ait saisi un traître mot de ce qui se dit
alors entre le Roi et la plus belle de ses sujettes.
Belle, elle l’était assurément, et bien au-delà de toutes
celles en ce royaume qui pouvaient prétendre à ce titre et qui plus est, elle
l’était dans l’éclat d’une jeunesse qui paraissait incorruptible, l’œil grand,
le nez délicatement ciselé, la bouche petite, mais d’un dessin parfait, la joue
ronde comme il convenait à son âge, la peau du visage fine et blonde, le cou
rond et mignard que dégageait un grand col de dentelles relevé derrière la
nuque.
Je ne laissais pas,
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