La Volte Des Vertugadins
que Bassompierre ? C’était faire bon marché du
bonheur du Comte et de l’honneur de Condé ! Allait-on désespérer
Bassompierre et ravaler un prince du sang au rang de mari postiche ?
Mademoiselle de Montmorency, qui savait bien ce que parler
voulait dire, dut sentir que le Roi allait trop vite et trop loin, encore que
ce fût en toute vraisemblance dans le sens qu’elle désirait. Et elle prit le
parti de se replier en bon ordre, sans toutefois décourager son royal vis-à-vis,
et en se donnant les apparences d’une petite fille aussi douce que sage et
avant tout obéissante aux commandements paternels.
— Sire, dit-elle, puisque c’est la volonté de mon père,
je m’estimerai heureuse avec Monsieur de Bassompierre.
Ce propos irréprochable, et pourtant si ambigu, fut prononcé
d’une voix ténue et suivi d’un petit soupir. Le Roi, que la tension de cet
entretien avait fatigué, reposa sa tête sur ses oreillers, cruellement partagé
entre l’espoir et une jalousie naissante. La Duchesse d’Angoulême ne vit que le
mouvement de lassitude, mais il fut suffisant pour que ses bonnes manières et
aussi son avidité à apprendre de sa nièce ce qui s’était dit la fissent se
lever et demander son congé du Roi. Il le lui donna. Des deux côtés du lit, il
abandonna ses mains aux baisers des dames et, comme Mademoiselle de
Montmorency, ainsi qu’il convenait à son âge, marchait deux pas derrière sa
tante, ses yeux s’attachèrent à elle jusqu’à ce qu’elle eût passé la porte.
*
* *
Les rois, comme avait si bien noté mon père, naissent en
public, mangent en public, meurent en public et c’est tout juste s’ils ne
besognent pas leurs épouses en public, la raison en étant que tout incident,
grand ou menu, de leur vie peut déboucher sur une affaire d’État et intéresser
le royaume entier. Henri, qui avait des goûts simples et des nostalgies
paysannes, souffrait mal cette publicité, mais il la souffrait. Sans cela, il
eût fallu supprimer la cour, et la cour était utile pour retenir autour de lui
les Grands qui, s’ils n’avaient pas été subjugués par les honneurs, les charmes
et les délices qu’ils y trouvaient, eussent comploté sans fin contre leur
souverain.
Cependant, tout accoutumé qu’il fût à être sans cesse
environné de regards épiants et d’oreilles affamées, Henri, après le départ de
Mademoiselle de Montmorency, me parut incommodé d’être la cible d’une curiosité
aussi avide et quasi indécente en son avidité. Il me commanda de reprendre la
lecture de L’Astrée. Ce que je fis, mais point tout à fait avec la même
verve qu’auparavant, tant la scène dont je venais d’être le témoin m’avait
plongé dans une confusion qui n’allait pas sans mésaise. Car si j’étais indigné
par les visibles artifices de cette mijaurée, je détestais ses ruses, mais non tout
à fait sa personne : sur moi aussi sa beauté agissait. Quant au Roi, si
j’avais grande pitié à le voir se laisser engluer dans ce piège de chair, sa
candeur à se croire aimé me laissait béant. Il me semblait que le javelot d’or
avait fait beaucoup de chemin dans son cœur, pour qu’il fût devenu à ce point
aveugle.
Ce qui, au surplus, m’enleva beaucoup du plaisir que je
prenais à lire tout haut L’Astrée, fut que le Roi, au bout de quelques
minutes, ferma les yeux. Je crus d’abord qu’il dormait mais presque aussitôt je
le décrûs, me ressouvenant que les douleurs qu’il endurait étaient telles
qu’elles le condamnaient à l’insomnie. De reste, à lui jeter un œil de temps à
autre, je surprenais sur son visage quelques involontaires grimaces qui en
disaient long sur le lancinement de son mal. Je conclus donc que s’il gardait
ses paupières closes, c’était qu’il voulait à la fois dérober l’expression de
son regard aux courtisans et rentrer en son for, je ne dirais pas pour mettre
de l’ordre dans ses pensées – par malheur il n’en était plus là –
mais pour dresser des plans qui pussent servir les fins que lui proposait la
violence de sa passion. J’en conclus aussi qu’il ne m’écoutait pas, ce qui
enleva tout intérêt à ma lecture et, la fatigue venant avec ce désintérêt, elle
me fit par moments bredouiller.
Si absorbé qu’il fût en ses pensées, le Roi s’aperçut de ma
lassitude et, ouvrant les yeux, me dit avec bonté :
— Siorac, c’est assez lu ! Donne le livre à
Monsieur de Gramont.
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