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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Monsieur de Montespan te conduira chez le Dauphin et le
priera de te donner à manger. Mais, ne manque pas de revenir à moi cette
après-midi.
    Je le remerciai et, après une grande révérence, j’allais me
retirer avec Monsieur de Montespan quand les médecins entrèrent, lesquels le
Roi apostropha incontinent :
    — Messieurs les médecins, dit-il, cette nuit il vous
faudra me donner de l’opium. Cette nuit, je veux que mon sommeil me dorme, et
me baille de beaux rêves, s’il se peut.
    Le Roi ne m’ayant pas donné mon congé, j’en conclus qu’il me
faudrait passer la nuit dans sa chambre sur un tabouret, sans lire à haute
voix, mais sans pouvoir manger, non plus d’ailleurs que dormir en cette
incommode posture. Je m’en ouvris en chemin à Monsieur de Montespan, lequel
avait un front étroit, un grand nez, une grosse moustache grise et des sourcils
gris presque aussi épais que sa moustache. C’était de ma part moins une plainte
qu’une requête implicite, mais il prit l’une et l’autre très au rebours du
poil.
    — Chevalier, dit-il d’une voix rude et avec l’air de me
donner une leçon, on voit bien que vous êtes novice au service du Roi, lequel
confère assurément un grand honneur, mais comporte des contraintes auxquelles
il faut se plier. Sachez, Monsieur, que le manger, le boire et le dormir sont,
pour les serviteurs de Sa Majesté, les choses les plus incertaines du monde… Et
dites-vous bien que c’était déjà pour vous un immense privilège que d’avoir un
tabouret à vous mettre sous le cul. La plus grande partie du jour, moi qui ai
le double de votre âge, je m’use les jambes à demeurer debout…
    À ouïr ce peu secourable propos, je vis bien que, pour le
capitaine des gardes, j’étais une sorte de jeune recrue à qui un peu de vie
dure ne pourrait que faire du bien, et je me sentis tout à fait assuré d’avoir
vu juste, quand m’introduisant auprès de Monsieur le Dauphin, Monsieur de
Montespan oublia – si tant est que ce fût un oubli – de lui dire que
je n’avais pas mangé.
    Mais ne voyant pas, quant à moi, pourquoi ayant la moitié
moins d’années que Monsieur de Montespan, je devais à force forcée jeûner et ne
point dormir pour compenser cet écart, je touchai un mot de mon embarras au
docteur Héroard pendant que Louis était fort occupé à taquiner Madame [41] avec qui il partageait son dîner.
    Bien que j’eusse parlé à voix basse, Louis, qui écoutait
tout et tous, sans faire mine ni semblant, commanda aussitôt qu’on m’apportât
un pâté de lièvre, du pain, du vin, et une pomme cuite, tout en me faisant le
grandissime honneur de me faire asseoir à sa table où, étant si affamé, je fis
de ces quelques mets un repas de roi. Quant au docteur Héroard il voulut bien
me promettre, si l’opium avait sur Henri l’effet qu’on en attendait, de faire
dresser un lit pour moi dans sa chambre afin que j’y pusse reposer la nuit.
    Louis m’eût voulu dans la sienne, mais Monsieur de Souvré,
qui déjà avait quelque peu sourcillé de le voir m’inviter à sa table, lui dit
gravement que « cela ne se faisait pas ». À huit ans, Louis était
déjà trop respectueux des usages pour passer outre, mais bien qu’il s’inclinât,
il en conçut un peu d’humeur et il entreprit de taquiner Monsieur de Souvré.
    —  Meuchieu, dit-il avec une petite lueur
gaussante dans ses beaux yeux noirs, quel pays est-ce que guerouage [42]  ?
    — Monsieur, dit Monsieur de Souvré avec un certain
embarras, je ne sais. Le savez-vous ?
    — Je ne sais, dit Louis en imitant la gravité de son
gouverneur.
    Puis il reprit aussitôt :
    — Si sais-je bien ce que c’est. Mais puisque ne le
voulez pas dire, je le demanderai aux dames.
    — À qui, Monsieur ?
    — À Madame de Souvré, dit Louis.
    Et il reprit en riant :
    — Guerouage, c’est aller faire l’a mou.
    Monsieur de Souvré voulut alors savoir qui l’avait renseigné
sur le sens du mot que lui-même, d’après ce que dans la suite me confia
Héroard, avait employé quelques jours auparavant, afin que le Dauphin ne
comprit pas son propos. Mais Louis qui, comme j’ai dit, écoutait tout, et
particulièrement quand on lui voulait cacher quelque chose, avait retenu
l’expression et s’était enquis auprès de quelque valet de ce qu’elle voulait
dire. Et si fort que Monsieur de Souvré le pressât après ce petit dialogue pour
connaître sa source, il se refusa tout net à la

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