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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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trahir, ne voulant pas qu’on
punît le quidam. J’avoue que je goûtais fort en lui ce zèle à s’informer de
tout et cette inébranlable fidélité à ceux qui l’avaient servi.
    Ayant remporté sur son gouverneur cette petite victoire, où
il ne mit aucune méchanceté, car il ne taquinait que ceux qu’il aimait,
réservant aux autres un visage froid et fermé, Louis consacra toute son
attention à sa sœur cadette. Bien loin étaient les temps où il la battait, sous
prétexte qu’elle lui avait volé sa poire, mais en réalité parce qu’il avait
« peur des filles » ! Quelques années plus tard, il pleura à chaudes
larmes quand, devant gagner l’Espagne pour épouser l’infant, elle le quitta
sans qu’il eût aucun espoir de la revoir jamais, les rois, en ces siècles
agités, n’osant se hasarder hors de leurs frontières qu’à la tête d’une
puissante armée.
    J’observai avec amusement comment, pendant le dîner, il
s’appliquait à jouer envers Madame le grand frère et aussi le tyranniseur, bien
que ce fût une tyrannie tendre.
    Maître Gilles, le sommelier, lui versant du vin, il insista
pour qu’il lui remplît son verre en disant d’un air quelque peu fendant :
    — Oh ! Je me veux accoutumer à boi du
vin !
    S’apercevant que sa sœur en buvait aussi, il dit sur un ton
d’autorité :
    — Ma sœur, vous êtes top jeune pou boi du
vin. J’en bois à s’teu, mais j’ai un an pus que vous.
    Et, s’adressant à Maître Gilles, il reprit :
    — Maî te Gilles, ne donnez point du vin à ma sœu, elle est top jeune.
    Je gage que Madame, jolie fillette de six ans, un peu timide
et passive, ne raffolait guère du vin, lequel était assez fort pour tirer une
petite grimace à son grand frère quand il le but. Mais elle n’aima pas que
Louis la privât du privilège qu’il s’octroyait et se mit à faire la mine. Ce
que voyant le Dauphin, il coupa sa tarte à la crème en deux et lui en donna la
moitié en disant d’un ton gaussant :
    — Ma sœur, avez-vous jamais mangé de cette
bête-là ?
    — Ce n’est pas une bête, dit Madame, c’est un gâteau.
    À quoi il rit, comme se moquant de sa simplesse. Elle le
regarda avec de grands yeux comme si elle se demandait si elle devait rire avec
lui ou s’offenser. Mais la tarte étant là devant elle, elle ne fit ni l’un ni
l’autre : elle la mangea.
    Quand elle eut fini, Louis lui demanda :
    — Ma sœur, me voulez-vous voi ti er des
armes ?
    — Oui, Monsieur, dit-elle poliment.
    Cette réponse lui fit plaisir, car l’aimant assez pour
désirer qu’elle l’admirât, il voulait faire parade devant elle de ses talents,
et incontinent envoya quérir le maître d’armes Jeronimo qui partageait avec
Monsieur de Gourville l’honneur de lui apprendre l’escrime.
    Il me parut que Louis tirait, en effet, fort bien pour un
garçon de huit ans et qu’il mettait beaucoup de cœur à l’attaque. Sa leçon
finie, il s’appuya derechef sur son épée, comme je l’avais déjà vu faire, quit
de Jeronimo de lui faire la critique de son assaut et ouït avec beaucoup
d’attention ce que le maître eut à lui dire. Ayant jeté un regard discret à ma
montre-horloge, je demandai mon congé à Louis et après qu’il m’eut dit qu’il
voulait me revoir avant que j’allasse coucher dans la chambre d’Héroard, je
regagnai les appartements du Roi. Je fus surpris de n’y trouver plus qu’une
dizaine de personnes et j’entendis alors que le Roi avait fini par ordonner un
tri sévère parmi ses visiteurs afin d’avoir un peu de calme.
    À en juger par sa mine, le Roi ne me parut pas aller ni
mieux ni plus mal qu’avant ma visite chez le Dauphin mais, d’évidence, il
souffrait difficilement de garder le lit. Le Comte de Gramont avait pris la
suite de Bellegarde pour lire L’Astrée mais, au bout d’une heure, il fut
interrompu. De prime, ses secrétaires d’État et ses ministres vinrent au chevet
d’Henri tenir un Conseil qui fut, de reste, vite expédié. Puis le Dauphin,
accompagné par Monsieur de Souvré et le docteur Héroard, le visita à son tour.
Louis paraissait fort troublé de voir son père couché et souffrant. Comme le
Roi lui disait qu’il avait la goutte, il demanda : « Mais où
est-elle ? je veux la voi ! » Et Sa Majesté lui expliqua,
avec un sourire – le premier que je vis ce jour-là sur ses lèvres –,
que la goutte n’était pas une goutte, mais une maladie que l’on

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