La Volte Des Vertugadins
appelait ainsi.
Après le départ du Dauphin, Gramont reprit sa lecture mais
pour peu de temps, car il y eut tout soudain un grand tohu-bohu à la porte de
la chambre et la Reine entra, suivie de ma bonne marraine, de sa fille, la
Princesse de Conti, de la Duchesse de Montpensier, de la Maréchale de La
Châtre, de la Marquise de Guercheville, d’autres dames inconnues de moi et
d’une demi-douzaine de demoiselles d’honneur de Sa Majesté, parmi lesquelles je
reconnus celles que j’avais vues en nymphes de Diane dans la Grande Galerie, la
veille.
La vue d’un cotillon lui faisant toujours plaisir, le Roi
abandonna volontiers sa main aux dames et la Reine l’accola avec assez de bonne
grâce, sa face ingrate et rechignée trahissant le secret contentement qu’elle
éprouvait à le voir égrotant et couché, hors d’état par conséquent de courir
après ses « poutanes ».
— Sire, dit-elle, en s’asseyant sur une chaire à
bras que deux valets venaient d’apporter au chevet du Roi, comment va votre
goutte ?
— Ni pis ni mieux. Et vous-même, M’amie, comment vous
en va ?
— Ie souis pazza furiosa [43] .
— Et pourquoi donc, Madame ? dit le Roi en
sourcillant.
— Sire, cria-t-elle, è una vergogna ! La Camera
di Nantes non ha nemmeno risposto [44] !
— Madame, dit le Roi, est-ce bien le lieu et le moment
de parler de votre édit breton ?
Cet édit conférait à la Reine tout l’argent qui pourrait
revenir des rachats, ventes, aubaines, confiscations et autres droits
seigneuriaux à échoir en Bretagne pendant neuf ans.
— Sire, reprit la Reine sans s’émouvoir le moindre de
la rebuffade royale, la Camera di Nantes non ha nemmeno risposto !
— Madame, dit Henri, reprenant avec elle un
refrain qu’il lui chantait depuis son mariage, vous êtes reine de France !
De grâce, parlez français !
— Eppure, è la terza lettera di iussione [45] !
— La lettre de jussion, Madame, la lettre de
jussion ! Est-ce si difficile à dire ?
— E la Camera non ha nemmeno risposto ! dit
la Reine qui paraissait résolue à ne pas parler la langue des traîtres. E una vergogna ! Sono cattivi questi ! Bisogna punirli [46] !
— Les punir, Madame. Et
comment ?
— E molto semplice ! Bisogna
appicarli al ramo d’un albero [47] !
— Madame, en ce royaume on ne pend pas les gens comme
on pend le linge aux fenêtres de Florence. La Chambre des comptes de Nantes
défend les intérêts de notre province de Bretagne qu’elle pense être lésés par
l’édit dont nous vous avons donné le bénéfice. C’est à nous de la persuader
d’obéir.
— E come ? E come [48] ?
s’écria la Reine, très à la fureur.
— Monsieur de Sully lui écrira dès demain une autre
lettre de jussion.
— La quarta ! dit la Reine avec dérision en
élevant dans l’air ses mains grasses. E anche quella non avra nessun effetto [49] !
— Madame, dit le Roi en haussant quelque peu la voix,
ayez de grâce égard à mon état : nous aurons assurément l’occasion de
reparler de votre édit breton, quand je serai sur pied.
Le ton était sans réplique et la Reine se tut, hautaine et
rechignée, la tête haute, le torse fort redressé contre le dossier de sa chaire
à bras. Un silence s’ensuivit, que rompit la Duchesse de Guise, qui passant
derrière la chaire de Sa Majesté s’alla jeter à genoux au chevet du Roi avec
son impétuosité naturelle, et se mit à lui débiter mille folies qui eurent du
moins le mérite de l’égayer. Là-dessus, Bassompierre survint et, voyant du
premier coup d’œil que la Reine faisait la mine, s’alla mettre à ses pieds et
entreprit de la dérider, ce qu’il était à peu près le seul à pouvoir faire à la
cour, car elle lui savait gré de ce qu’il eût le bon goût de perdre de grosses
sommes chaque fois qu’il jouait aux cartes avec elle.
Un semblant d’entente étant ainsi revenu dans le ménage
royal, je m’enhardis, et progressant parmi les vertugadins qui se pressaient
dans la ruelle pour aller faire la cour au Roi, je m’approchai de la Duchesse
de Guise, lui fis mon compliment, et lui baisai la main. Elle me parla à peine
et fut avec moi de la dernière froideur. J’en fus étonné, et plus encore
meurtri, ce qu’observant la Princesse de Conti, elle vint à moi, m’appela son
petit cousin et effleura ma joue d’un baiser. Étant à la fois Guise et Bourbon,
et mariée à un prince du sang, la
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