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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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moisissait
à la Bastille, et le Comte de Sommerive était mort à Naples. Quant à celle qui
avait prononcé cette phrase, je la voyais parfois par la fenêtre de sa
boulangerie trôner derrière son comptoir, où elle faisait régner l’ordre, le
sourire amène et les yeux froids.
    — Et où en est le Roi dans la succession de
Clèves ? dit mon père.
    — Eh bien, comme vous savez, c’est une énorme affaire,
et il en est tracassé à l’extrême. Il pousse avec la dernière ardeur ses
préparatifs militaires et envoie des courriers partout pour se faire des
alliances contre l’Autriche et l’Espagne ou consolider celles qu’il a déjà.
C’est qu’il aura, comme vous vous en doutez, à combattre sur trois
fronts : en Italie, aux côtés du Duc de Savoie ; sur les Pyrénées
contre Philippe III d’Espagne ; et en Allemagne, contre l’Empereur.
    Belle lectrice, vous allez sans doute conclure de cet
entretien que Bassompierre parlait beaucoup, et de tout, et avec une grande
liberté. Il n’en était rien : et ce n’est que vingt ans plus tard que
j’appris qu’au moment même où il ne paraissait avoir en tête que les intrigues
de cour, il s’était rendu en grand secret en Lorraine à la demande du Roi pour
négocier avec le Duc de Lorraine le mariage de sa fille avec le Dauphin de
France – ambassade politique de la plus grande conséquence, puisqu’elle
faisait pièce aux mariages espagnols si fortement désirés par la Reine,
Villeroi, le parti espagnol et les jésuites. Ainsi, le Roi employait mon père à
certaines missions et Bassompierre, à d’autres, sans que les missions de l’un
fussent connues de l’autre. Même dans l’affaire de l’église de
Saint-André-des-Arts, qui était pourtant fort mineure, Bassompierre n’aurait rien
su du vrai rôle que j’y avais joué sans la lettre de mon père et sans une
circonstance assez étonnante que je conte plus loin.
    — En fait, reprit Bassompierre, si l’on ouvrait le cœur
du Roi en ce moment, on y verrait deux noms gravés : Clèves et Charlotte.
    — Mais d’après ce que j’ai ouï, remarqua mon père,
ledit cœur doit être à l’heure qu’il est soulagé d’un grand poids.
    — Assurément, dit Bassompierre, il bat plus allègrement
depuis que Monsieur le Prince a ramené sa femme à Fontainebleau. Notre pauvre Henri
a été si transporté d’aise qu’en moins de rien il a changé d’habits, de barbe
et de contenance.
    — De barbe ? dit La Surie. L’a-t-il coupée ?
    — Nenni. Il l’a fait tailler. Et pour le cheveu, il l’a
fait couper et laver. Et pour ses habits, vous ne sauriez y croire, je l’ai vu
hier porter des manches de satin de Chine brodées de fleurs. Ma fé, vous
eussiez dit une prairie au mois de mai ! Mais hélas ! bien qu’elle
demeure à s’teure au château, il ne peut voir la Princesse qu’en public : le
Prince la tient en laisse plus que jamais.
    — Et de ce couple princier, qu’en est-il ? dit La
Surie.
    — Il est des plus touchants, tant il est visible que
chacun d’eux éprouve pour l’autre le même sentiment : il la déteste et
elle le hait. Outre qu’il la tyrannise, elle est pucelle comme devant.
    — Ah ! Comte ! dit mon père en riant, comment
pouvez-vous en être si sûr ?
    — Elle me l’a dit.
    — Elle vous l’a dit ! Vous la voyez donc de
nouveau !
    — En cachette et sur l’ordre du Roi. Maintenant qu’elle
sait que je ne serai jamais son mari, elle me veut du bien.
    — Comment l’entendez-vous ?
    — Point comme vous pourriez l’entendre. La Princesse me
considère avec une bonne grâce quasi royale comme l’un de ses plus dévoués
sujets, depuis que j’ai sauvé Philippote.
    — Vous avez sauvé Philippote ? dis-je vivement.
Courait-elle un danger ?
    Cette vivacité n’échappa pas à Bassompierre, qui échangea un
regard avec mon père.
    — Aucun ! Sauf de mourir de faim. Quand des gens de
moi tout à plein déconnus l’ont en l’église Saint-André-des-Arts subornée en
lui glissant dix écus et un pli, assommant en outre le gentilhomme espion qui
la surveillait, la garcelette a couru hors d’haleine chez sa maîtresse, lui a
remis le pli, mais, comme il est naturel, a gardé les écus, desquels, hélas,
elle n’a pu expliquer la provenance quand Monsieur le Prince, l’ayant fait
mettre nue, les a trouvés. Mon beau neveu (j’ai ouï dire que vous ne vouliez
plus qu’on vous appelât « mon mignon »),

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