La Volte Des Vertugadins
vous allez sans doute me
demander si Philippote, nue, était belle ?
— Non, Monsieur, dis-je en rougissant.
— Elle l’est. En outre, elle ne manque pas d’esprit,
car rhabillée et jetée à la rue sans ses écus, elle courut sonner à mon logis,
où je lui donnai asile.
— Voilà, Comte, dit mon père, qui fait l’éloge de votre
bon cœur !
— Je mérite à l’ordinaire cet éloge, mais point en
l’occurrence, dit Bassompierre avec un sourire. Philippote a compté il y a peu
au nombre de mes nièces. Et quand le Connétable me voulut comme gendre, ma
sœur, Madame de Saint-Luc, la donna comme chambrière à Mademoiselle de
Montmorency, qui venait de renvoyer la sienne.
— Madame de Saint-Luc, dit mon père en se tournant vers
moi, est cette « beauté touchante » que vous admirâtes fort au bal de
la Duchesse de Guise. Mais, Comte, ce que je n’entends pas, c’est pourquoi ce
fut votre sœur, et non vous, qui présenta Philippote à Mademoiselle de
Montmorency ?
— En la présentant moi-même, j’eusse éveillé sa
méfiance. Et ce que je voulais savoir par Philippote, c’est si le choix que le
Connétable avait fait de moi comme gendre agréait à sa fille.
— Et lui agréait-il ?
— Pas tout à fait. De ma personne je la ragoûtais
assez. Mais elle ne me trouvait pas assez haut quant au rang, Charlotte est une
de ces femmes chez qui le souci de la gloire l’emporte de beaucoup sur celui de
l’amour.
— Ce qui, j’imagine, vous rendit plus facile le
sacrifice que vous fîtes d’elle, quand le Roi vous en pria.
— Ah ! de grâce, Marquis ! dit Bassompierre.
Ne rabaissez pas mon sacrifice ! Il fut immense ! Ne m’avez-vous pas
vu pâle, défait, dolent, jeûnant et ne dormant plus ?
— Si fait, et je pourrai, s’il le faut, en témoigner.
Et aussi, que vous êtes sans rancune, puisque vous servez ce jour d’hui
Charlotte.
— Le Roi me l’a commandé. Et n’avais-je pas là aussi
une occasion de regagner les bonnes grâces d’une dame qui est si proche de son
cœur ?
— Et qui, un jour peut-être, sera la reine…
— Oh ! De cela je ne prendrais pas la
gageure ! dit Bassompierre. Condé défend férocement sa femme, même si elle
ne l’est que de nom ! Pour que le Roi puisse entretenir la belle au bec à
bec, il faudrait embastiller le mari !
— Et Henri le fera-t-il ?
— J’en doute. Le scandale serait grand. Et d’autant que
le Roi a eu l’imprudence de confier jadis à la Verneuil que Condé était son
fils. Ce que ce jour d’hui elle va répétant partout dans les termes les plus
venimeux.
— Est-ce vrai ? m’écriai-je. Et si ce l’était, ne
serait-ce pas horrible ?
— Mais comment le savoir ? dit Bassompierre sans
battre un cil. La Princesse douairière de Condé ne trompait pas seulement son
mari avec son page, mais simultanément avec le monde entier. Avec le Roi aussi,
sans doute. Comment savoir qui est le père ?
— Une chose m’étonne, Monsieur, dit La Surie. Si la
Princesse de Condé est si bien gardée à Fontainebleau, comment avez-vous pu
avoir accès à elle ?
— Pardonnez-moi, Chevalier, mais ce serait trop long à
expliquer, dit Bassompierre avec un sourire évasif. En revanche, je puis vous
dire ce que, sur l’ordre du Roi, je parvins à faire. Je recrutai un peintre,
dont je tairai le nom [54] , je réussis à l’introduire en
catimini auprès de la Princesse, il fit son portrait avec une célérité
merveilleuse, et les couleurs encore fraîches – je dus les enduire de
beurre pour ne point les gâter – je roulai la toile avec soin, m’enfuis
comme un voleur, et seul à seul avec le Roi, je la dépliai. Les larmes lui
vinrent aux yeux, tant il fut transporté ! Mais toujours insatiable des délices
que lui procurait la vue de sa bien-aimée, il voulut plus : la contempler
à son balcon sur la minuit entre deux flambeaux. Sur mes instances, elle y
consentit, à condition qu’aucune parole ne serait échangée et que le Roi ne
serait accompagné que de moi et de Bellegarde. Nous y fûmes donc tous trois, et
nous trouvant fort en avance, le Roi étant si impatient, nous dûmes attendre à
la brune un bon quart d’heure sous le balcon, sans piper mot. Enfin minuit
sonna, la fenêtre s’ouvrit, et deux laquais s’avancèrent, portant chacun un
flambeau ; la belle prit tout son temps pour apparaître, et tant qu’à
faire les choses, elle avait voulu les bien faire. Car elle
Weitere Kostenlose Bücher