La Volte Des Vertugadins
chaud ni froid, et
pas plus au jeune Vendôme qu’aux deux autres. Condé haïssait sa femme. Les
infirmités de Conti l’avaient éloigné de la sienne. Et le petit duc ne voyait
dans son mariage qu’une pénible épreuve.
Les dames devaient sortir dans la cour pour gagner la
chapelle et Henri se tourna vers la porte qu’elles devaient franchir avec un
visage rayonnant. Il avait toujours aimé le gentil sesso à la folie et,
encore que dans son commerce incessant avec lui, les souffrances et les écornes
ne lui eussent pas manqué, les femmes lui étaient trop nécessaires pour qu’il pût
s’en dégoûter jamais. Il aimait tout d’elles : leurs grâces comme leurs
artifices. Avec ses sujets, à la seule exception de Biron, il avait fait preuve
de clémence, mais cette vertu, avec ses sujettes, était allée véritablement
dans l’excès. À ses maîtresses, il avait toujours tout pardonné : les
mensonges les plus éhontés, les perfidies les plus venimeuses, les trahisons
les plus cyniques, voire même les complots contre sa propre vie.
Ce qui me laissait béant, c’est que ce grand roi d’humeur si
impatiente et ce jour-ci si préoccupé par l’affaire de Clèves et la perspective
d’une guerre, comptât pour rien les cinq heures perdues à attendre les dames
s’attardant à leurs coiffeuses. Il me parut, à observer sa physionomie
frémissante, qu’il se promettait un grand plaisir, rien qu’à les revoir, comme
si, pendant de si longs moments, il s’était senti orphelin de leurs charmes.
À ne compter que la Reine, les princesses et les duchesses,
les dames, de reste, n’étaient pas plus de dix. Mais comme chacune se fût sentie
déshonorée à n’être pas suivie par ses filles d’honneur au complet, toutes
aussi jeunes que belles, cela fit une troupe d’une soixantaine de personnes
qui, la porte franchie, s’avança dans la cour, dans un grand moutonnement
d’étoffes chatoyantes. Marie de Médicis marchait en tête, parée de bijoux
magnifiques, sa robe fleurdelysée semée de perles de haut en bas, et comme tout
chez elle se trouvait plus grand que chez toute autre dame : la taille, la
couronne, les joyaux, le col de dentelle relevé derrière la nuque, à cette
distance, elle ne manquait pas de majesté. Princesses et duchesses ayant droit
aussi à des couronnes, assurément moins imposantes, mais ornées de pierreries,
celles-ci étincelaient de mille feux sous le clair soleil de juillet, lequel
faisait briller aussi d’un éclat plus doux et plus tendre les couleurs vives,
variées et florales de leurs vêtures. Quand la Reine fut assez proche de nous
pour qu’on pût distinguer son visage, on s’aperçut qu’il portait cet air de
morgue rechignée qu’elle prenait pour de la grandeur. Tant est que les regards
rebutés se reportèrent aussitôt sur la Princesse de Conti et la Princesse de
Condé qui, outre qu’elles étaient fort belles, faisaient derrière la Reine un
très charmant tableau à cheminer côte à côte.
Marchant, sans s’être donné le mot, avec une lenteur
calculée, elles avaient laissé la Reine prendre de l’avance sur elles, non
point tant par respect que pour donner aux regards tout le temps de s’attarder
sur leurs attraits. L’une blonde et la taille mignonne, l’autre grandette et
brune, elles avaient le droit, elles aussi, en tant que princesses du sang, aux
robes fleurdelysées des Enfants de France et leurs mains gantées reposant avec
nonchalance sur les renflements jumeaux de leurs vertugadins, elles avançaient
en ondulant avec une grâce acquise à danser dès l’âge le plus tendre les
ballets de la cour. L’œil en fleur et comme innocent des désirs qu’elles
suscitaient, elles inclinaient la tête de côté dans une attitude qui évoquait
l’abandon. Au fur et à mesure de leur approche, elles ralentirent encore leur
marche et quand elles furent à quelques pas du Roi, mais cela peut-être avait
été concerté, elles se mirent à faire, en souriant à demi, quelques petites
mines confuses, comme si elles eussent voulu compenser la hauteur de la Reine
par une contrition muette. Le Roi n’y résista pas. Il applaudit. La cour
aussitôt l’imita avec une chaleur qu’on n’eût pas espérée de courtisans aussi
affamés.
— Comment comprendre les Français ? dit un
gentilhomme roide et grave avec un fort accent espagnol. Les dames les font
attendre cinq heures, et ils les applaudissent.
— Senor Don Inigo, dit
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