La Volte Des Vertugadins
Bassompierre ? dit Bassompierre,
surgissant derrière nous et jetant un bras par-dessus l’épaule de mon père.
Non, non, ne répétez point, j’ai ouï. Mes amis, je vous vois pâles et défaits.
Comment vous en va ?
— Mal, dit La Surie. Si ma faim me creuse encore, je
pense que je vais gloutir Monsieur de Paris avec ses robes, sa mitre et sa
crosse.
— Vaudra-t-il l’hôtesse des Sept Fayards ? dis-je
en riant.
— Oui-da ! Un chapon vaut mieux qu’une
poule !
— S’agissant d’un prélat, voilà qui sent quelque peu la
caque, dit Bassompierre.
— Et vous, Comte, n’avez-vous pas faim ? dit mon
père.
— Nenni, les dames, à l’instant, m’ont nourri.
— Dieu du ciel ! Elles mangent !
— Je dirais qu’elles se gavent.
— Et de quoi ?
— De dragées, de massepains et de confitures. Leurs
coiffeuses en sont encombrées. Rien ne creuse davantage le beau sexe que de se
faire frisotter le cheveu.
— Les misérables ! dit mon père.
— Marquis, vous ne direz pas cela, quand vous saurez
qu’on a pensé à vous.
— Et qui est ce « on » ?
— Ne le pouvez-vous deviner ?
Et sortant de l’emmanchure de son rutilant pourpoint un
drageoir en or orné de rubis, il l’ouvrit en disant :
— Or sus ! Mettez-vous tous trois autour de moi
afin d’échapper à la vue de ces affamés qui nous entourent. Nenni !
Nenni ! Point de vergogne ! Une blanche main a garni ce drageoir pour
vous. Seulement pour vous. Raflez tout !
Ce que nous fîmes et, jour de Dieu, que ces dragées furent
bonnes, craquantes sous la dent et fondantes sous la langue !
— Le drageoir est superbe, dit La Surie qui, quand le
drageoir fut vide, demanda à le tenir en main et l’admira sous toutes ses
faces.
— C’est le cadeau d’une dame, dit Bassompierre avec un
sourire qui, comme certains pistolets, était à double détente : une
détente pour paonner et une détente pour se moquer de ce paonnement.
— Voilà une belle qui avait de la gratitude, dit La
Surie, rendant à regret le drageoir.
— Elles m’ont toutes de la gratitude, dit Bassompierre.
Je suis si consciencieux…
On rit à cela, notre estomac étant moins tenaillant et notre
humeur, de ce fait, plus légère.
— Comte, dit mon père, éclairez-moi. Il y a là un
mystère. Le trio princier que le Roi a laissé en plan est sinistre. Et passe
encore que le Prince de Condé soit sombre, mais le Prince de Conti !
Bassompierre baissa la voix.
— C’est qu’il a des éclairs de lucidité et s’aperçoit
alors qu’il est stupide.
— La vraie raison ? dit mon père en riant.
— Il est perdu sans son frère. Le Comte de Soissons,
comme vous savez, ne parle pas : il tonitrue et c’est le seul que Conti
puisse ouïr.
— Et Vendôme ? Pourquoi le béjaune tire-t-il cette
longue face ? La petite Mercœur n’est point sans grâces.
Bassompierre se pencha à l’oreille de mon père et nous
rapprochâmes nos têtes.
— Ne savez-vous pas ? Il est insensible à ces
grâces-là, étant de l’homme comme un bourdon.
— Juste ciel ! Lui aussi !
— À telle enseigne que notre Henri, craignant qu’il
reste court la nuit de noces, lui dépêcha avant-hier une garce experte sur
laquelle il pût aiguiser ses couteaux.
— Et les aiguisa-t-il ?
— À ce que l’on dit, tolérablement bien.
À ce moment, un petit page accourut, tout rouge et hors
d’haleine, lequel, se jetant aux pieds du Roi, le faillit faire tomber tant il
mit d’élan dans sa génuflexion.
— Sire, cria-t-il, les dames viennent !
— Beringhen ! dit le Roi.
Monsieur de Beringhen accourut et posa le lourd manteau
d’hermine sur les épaules de Sa Majesté. Après quoi, prenant des mains du
deuxième valet de chambre la couronne royale, il aida le Roi à la poser sur son
chef. Henri fit une petite grimace. Il n’aimait pas qu’on lui touchât les
cheveux.
— Ventre Saint-Gris, Messieurs ! dit-il en se
tournant vers les courtisans, s’il est vrai que l’attente augmente le désir, le
nôtre doit avoir des dents bien pointues…
Sans qu’il l’eût voulu, il y avait quelque ambiguïté dans ce
propos et elle fit çà et là éclore quelques petits sourires. Henri, bien campé
sur ses jambes courtes et musculeuses, rejoignit, devant la porte de la
chapelle, les trois Princes à la triste figure. Sauf qu’elle mettait fin à une
interminable attente, l’arrivée des dames ne leur faisait ni
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