La Volte Des Vertugadins
bigots, cagots et dévots du parti espagnol faisaient chuchoter par leurs
sacristains à l’oreille des crédules bonnes gens pour les dresser contre le
Roi. La damnable impudence ! On transformait les fils des milliers de
victimes de la Saint-Barthélemy en imaginaires bourreaux du peuple parisien
afin de les faire haïr du populaire et produire derechef, s’il se pouvait, un
massacre, celui-là bien réel, et qui pût dégénérer en une guerre civile jetée à
la traverse des desseins du Roi, lequel, par-dessus le marché, ne voulait faire
la guerre, ni au roi d’Espagne ni à l’Empereur, mais au Pape ! Et pourquoi
pas à Dieu le Père lui-même, pendant qu’on y était !
— Mariette ! dis-je très à la fureur, je répéterai
ces paroles sales, sottes et fâcheuses à mon père qui te dira lui-même ce qu’il
en pense. En attendant, sache bien que je ne veux plus t’ouïr répéter ces
dégoûtants propos. Ce sont les ennemis du Roi qui ont inventé cette fable
odieuse et ceux qui sont les ennemis du Roi ne sont pas les amis des gens de ce
logis.
— Mais Meuchieu ! Meuchieu ! cria-t-elle
en son désarroi, il n’y a pas of fenche ! Je n’ai fait que répéter che que le bon cha cristain a dit !
— Ce bon sacristain est un fol et toi, une enragée
commère !
Fort rouge et la poitrine haletante, elle retourna dans sa
cuisine, marrie de mon déplaisir, mais point convaincue le moindre et
marmonnant dans ses dents en s’en allant :
— Le Noël n’est point chi loin ! Et on
verra bien che qu’il en chera !
Le lendemain matin, j’étais à mes études dans la librairie,
où pendant l’absence de mon père j’avais transporté mon ouvrage, aimant fort
cette pièce pour ses livres, ses boiseries et ses belles verrières, quand Franz
vint me dire qu’une garcelette avec un petit balluchon demandait à me voir.
— Ce sera, dis-je, quelque mendiante ou quelque diseuse
de fortune. Éconduis-la, Franz.
— Eh, je ne le pense pas, Monsieur ! dit
Franz : Elle est trop jeunette pour une diseuse et trop proprette pour
mendier. Oui lui donnerait un sol à la voir attifurée comme elle est ?
— Me vas-tu dire que c’est une personne de
condition ?
— Non plus, Monsieur. Elle est seulette et non masquée.
Et elle a marché jusqu’ici à pied et en galoches, lesquelles elle a laissées
devant l’office à l’entrant. Toutefois, elle s’est frotté à du très beau monde,
cela se voit. Elle parle joliment et, si vous la recevez, Monsieur, vous serez
content de ses façons.
Franz dut dire ceci avec un retour sur lui-même, s’étant
frotté lui aussi aux Grands, ayant été dans l’emploi de la Duchesse de
Montpensier avant de venir en le nôtre après la prise de Paris.
— Eh bien ! Fais-la monter, Franz, nous verrons
bien !
Je la reconnus dès que j’eus jeté l’œil sur elle. Ah !
Bassompierre ! Gentil Bassompierre ! pensai-je, tu triches ! Et
pour me faire gagner !
— Philippote ! dis-je en me levant dès que Franz
eut fermé l’huis derrière elle, Philippote, M’amie, comment t’en va après notre
trop courte entrevue en l’église de Saint-André-des-Arts ?
— Je vous demande mille pardons, Monsieur le Chevalier,
dit la fille avec une fort gracieuse révérence, je ne suis pas Philippote. Mais
sa sœur Louison.
— Tu n’es pas Philippote ? dis-je n’en croyant ni
mes oreilles ni mes yeux.
— Non, Monsieur. Il est vrai que je lui ressemble,
ayant comme elle le teint clair, le cheveu blond et le nez retroussé, mais je
n’ai pas, moi, les yeux vairons. Ils sont bleus.
— C’est ma fé vrai ! dis-je en m’approchant d’elle
afin de la mieux considérer. Mais du moins est-ce Monsieur de Bassompierre qui
t’envoie à moi, Louison ?
Elle ouvrit tout grands à cette question ses yeux azuréens.
— Mais que nenni, Monsieur ! dit-elle, j’ai vu
Monsieur de Bassompierre deux fois dans ma vie, alors qu’il dînait chez
Monsieur le Connétable, vu que j’étais alors dans l’emploi de Madame la
Duchesse d’Angoulême, mais je ne lui ai jamais parlé.
— Mais qui donc alors t’a envoyé à moi ?
— Mais Philippote, Monsieur, pour vous servir.
— M’amie, dis-je avec un sourire, où aurais-tu vu
Philippote sinon chez Monsieur de Bassompierre ?
— Mais elle n’y était plus quand je l’ai vue, Monsieur,
mais à la cour, à Fontainebleau, chez Madame la Princesse de Condé qui l’avait
reprise à son
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