La Volte Des Vertugadins
est la sagesse même.
— Et comment Charlotte des Essarts prend-elle les
hommages de l’archevêque ?
— Un archevêque, assurément, ne vaut pas un roi. Mais
la charmante Charlotte pense à son avenir, lequel est fort incertain, le Roi
étant si volage. Comment la trouvez-vous ?
— Blonde et ronde.
— Et petite. La Comtesse de Moret est petite, elle
aussi. Raison pourquoi la Princesse de Conti, commentant la demi-disgrâce de la
Marquise de Verneuil, a beaucoup ébaudi la cour en disant : « Le Roi
ne monte plus ses grands chevaux. Il trouve à cette heure les petites montures
meilleures et plus propres pour lui. » Chevalier, qu’est cela ? Vous
faites la mine ?
— La plaisanterie est un peu bien vilaine.
— Ah ! Chevalier ! Il faudra vous y
faire ! La plupart des plaisanteries de cour sont de cette farine qui
n’est pas, il est vrai, des plus raffinées. La seule personne raffinée ici est
la jeune Marquise de Rambouillet. Et je vous présenterai à elle : vous ne
faillirez pas de l’aimer. Elle lit les poètes, elle apprend le latin, elle
discourt à ravir. En outre, elle est belle à damner le saint le plus racorni.
Chevalier, ne frétillez pas d’avance. La vertu de la Marquise se fâche de la
moindre œillade et sa pudibonderie est des plus farouches.
À ce moment, Noémie de Sobole, du fond de la salle, se
dirigea vers nous, ce que voyant Sommerive, il me dit à voix basse :
— Cette pécore va fondre sur nous. Pardonnez-moi, je
vous laisserai dès qu’elle sera là. J’irai converser avec le Prince de Conti et
le Duc de Montpensier qu’on a fait asseoir, à ce que je vois, côte à côte.
— Converser ? Mais le premier est sourd !
— Et le second, idiot. Toutefois, ils sont tous deux
princes du sang et j’ai envers eux quelque obligation de courtoisie, puisqu’ils
sont Bourbons et moi Guise. Vous avez ouï mon père là-dessus.
Le cheveu flamboyant, le visage animé, et le téton houleux,
Noémie de Sobole glissait rapidement vers nous tel un navire sous voiles, le
vent de sa course gonflant son vertugadin. Dès qu’elle nous atteignit, elle
lança sur Sommerive son petit grappin.
— Ah ! Comte ! dit-elle d’une voix
frémissante, que je suis donc aise de vous voir !
— Nul à vous contempler ne pourrait être plus ravi que
moi, Madame, dit Sommerive, en s’inclinant. Vous êtes l’épitomé de tous les
agréments que l’on voit dans cette maison et il n’est rien au monde que je
préfère à votre gracieuse présence. Voulez-vous, de grâce, me pardonner, et le
Chevalier aussi, mais je dois aller présenter mes devoirs aux princes du sang.
Plaise à vous de me réserver une danse. Si vous me l’accordez, je serai dans
les délices.
Sommerive, sur ces mots qu’il avait débités d’un ton affecté
et d’une traite, sans du tout regarder la pauvre Noémie, ses yeux demeurant
fixés sur un point situé au-dessus de sa tête, s’inclina. Et, tournant le dos,
gagna le coin où le Prince de Conti et le Duc de Montpensier étaient assis côte
à côte comme deux navires échoués dans le sable et à demi démantelés.
— Le méchant se moque, dit Noémie de Sobole, avec plus
de tristesse que de ressentiment. Voilà bien nos muguets ! Ils trouvent le
moyen de vous offenser en vous disant des choses aimables.
— Il vous a cependant retenu une danse.
— Et croyez-vous qu’il tiendra parole ? Tous ces
beaux cavaliers qui gravitent autour de Bassompierre : Bellegarde,
Sommerive, Joinville, Schomberg, fuient comme peste les pucelles : ils
voient en elles des pièges à mariage. Ils préfèrent conter fleurette à des
vertus écornées, comme la Moret ou la Charlotte et pour le quotidien, ils se
contentent des « nièces » de Monsieur de Bassompierre.
Ce mot « nièce », qui me fit songer à Toinon, me
déplut et je changeai de sujet.
— Mais que peut conter Sommerive au Prince de Conti,
puisque le Prince ne peut l’ouïr ?
— Il ne peut ni l’ouïr ni, s’il l’oyait, lui répondre,
car le pauvre prince est bègue à ne pouvoir articuler deux phrases de suite.
Quant au Duc de Montpensier, il est très atténué. Vous avez remarqué son
effrayante maigreur ?
— Oui, dis-je, il me fait penser aux vers de
Ronsard :
Un squelette
séché, une carcasse étique.
Un fantôme de
corps fiévreux et pulmonique.
— Il n’est pas pulmonique. Il souffre depuis quatorze
ans d’une affreuse blessure à la
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