La Volte Des Vertugadins
grésillement continu causé par les
insectes qui avec une attristante régularité venaient se brûler aux lustres. Et
je remarquai aussi pour la première fois que la douzaine de bras de lumières,
qui sortaient des murs pour éclairer les tableaux de l’illustre famille,
avaient bel et bien la forme de bras humains, comme si des esclaves, de l’autre
côté de la maçonnerie, les maintenaient immobiles pour éclairer les visages
pleins de hauteur des ducs assassinés.
Je n’aurais pas été fils de huguenot, élevé dans la stricte
économie de notre logis du Champ Fleuri, si mon cœur ne s’était pas serré à la
pensée de la folle dépense de chandelles et de bougies (celles-ci sans nul
doute particulièrement onéreuses) que Madame de Guise allait devoir supporter
en cette seule nuit du seize août. Sans compter, supputai-je, le buffet qui, du
coin opposé à ma plante verte, me faisait face et qu’une telle quantité de
boissons, de mets, d’entremets, de fruits encombrait qu’une compagnie entière
de gardes françaises eût pu y étancher soif et faim avant de s’aller coucher
dans ses quartiers. Mais à la vérité, pour ceux des gardes qu’en gagnant ma
place j’avais pu voir par les fenêtres donnant sur la cour, et qui assuraient
pour la durée de la nuit la sécurité de tant de Grands, il n’était question ni
de dormir, ni de se garnir en viandes, ni de boire, mais de suer dans leurs
uniformes, aussi immobiles que les bras de lumière qui, à l’intérieur de
l’hôtel, portaient leurs bouquets de bougies.
À l’autre bout de la grand’salle se dressait une autre
estrade, non point nue comme celle des violonistes, mais richement décorée d’un
grand tapis de Turquie, égayée par trois grosses corbeilles en bronze remplies
de roses blanches et meublée de deux grands fauteuils dorés qui, côte à côte,
faisaient face à la salle. Je les avais vus quand Monsieur de Réchignevoisin m’avait
fait les premiers honneurs de l’Hôtel de Grenelle, mais le bois doré, qui
laissait voir alors sur leur dossier les armes des Guise, avait été depuis
pudiquement revêtu de housses de velours gansées d’or afin que la vue du Roi ne
fût pas offensée par des armes qui avaient si longtemps combattu les siennes et
celles de son prédécesseur sur le trône de France.
*
* *
— Mon mignon, dit Bassompierre, en se dressant tout
soudain devant moi, je vous déniche enfin. Vous cachiez-vous sous les
feuilles ? Je ne peux croire qu’étant si savant, vous soyez à ce point
modeste. Voici le Prince de Joinville à qui sa mère pensait vous présenter,
quand ses devoirs l’ont appelée ailleurs. Il brûle de vous connaître.
— Monseigneur, dis-je en me levant, vous me faites
beaucoup d’honneur.
Je le regardai en disant ces mots et ce que je vis me plut
fort. Des quatre fils de Madame de Guise, Joinville était assurément le plus
beau, le plus robuste et celui dont la physionomie ouverte et vive annonçait le
plus d’esprit.
— Je ne sais si je mérite d’être appelé Monseigneur,
dit-il en souriant. Joinville est un petit village en Champagne à côté duquel
mon arrière-grand-père, Claude de Lorraine, construisit le château du
Grand-Jardin. Je ne sais comment, s’étant d’abord appelés Seigneurs de
Joinville, puis Barons de Joinville, les Ducs de Guise en sont venus à
s’appeler les Princes de ce petit domaine. Quoi qu’il en soit, le titre
appartient de droit à mon aîné Charles, qui me l’a conféré à ma majorité. C’est
un titre de courtoisie. Joinville ne m’appartient pas et le château, pas
davantage. Je tire mes revenus de Saint-Dizier dont le Roi a eu la bonté de me
nommer gouverneur et, Dieu merci, je n’y mets jamais les pieds.
— Mais, dis-je innocemment, qui donc gouverne
Saint-Dizier en votre absence ?
— Que voilà une question excellentissime ! dit
Bassompierre en riant aux éclats. Et qu’étrangement les choses se passent en le
royaume de France ! Le Prince de Joinville gouverne Saint-Dizier de Paris.
— Par le truchement d’un lieutenant que j’y ai nommé,
dit Joinville.
— Et le Roi, dis-je, béant, accepte cet
arrangement ?
Bassompierre posa la main sur mon épaule et, cessant de
rire, me dit d’un ton ferme :
— Mon mignon, dis-toi bien ceci : le Roi, quoi
qu’il fasse, a toujours raison.
— Ce qui veut dire, dit Joinville en souriant d’un seul
côté de la bouche, que Bassompierre donne
Weitere Kostenlose Bücher