La Volte Des Vertugadins
revers de la main. Il en est
des hommes comme des vilains : oignez-les, ils vous poindront. Mon enfant,
reprit-elle, non sans quelque bonté dans le ton, quoiqu’elle grondât, je vous
l’ai dit plus de cent fois. Gardez-vous bien d’aimer des gens comme
Bassompierre, Joinville, Sommerive, Bellegarde, ou Schomberg. Ils sont trop
beaux. Ce sont des miroirs à alouettes. Ils en pipent une tous les matins.
Comment voulez-vous, dans ces conditions, qu’ils répondent à votre
sentiment ?
— Madame ma mère, dit Joinville, le jarret me
démange ! Va-t-on enfin danser ?
— Quand le Roi sera là. Voudriez-vous ouvrir le bal
sans lui ?
— Il ne doit pas être loin : la Comtesse de Moret
vient d’arriver.
— Je l’ai vue, dit Madame de Guise.
— N’irez-vous pas l’accueillir ?
— Elle attendra.
— Faut-il être incivil ?
— C’est à moi d’en décider.
— En ce cas, vous voudrez bien me permettre, Madame, de
me substituer à vous.
Et sans attendre de réponse, il lui fit une profonde
révérence et, lui tournant le dos, il s’en alla, fort élégant en sa tournure,
les épaules larges et la taille fine. Madame de Guise le suivit de l’œil et
soupira :
— Cette basquine m’étouffe, mais moins que mes soucis
de famille ! Sobole, évente-moi. Bassompierre, avez-vous dit à cette guêpe
de cour ce qu’il peut lui en coûter de voleter au-dessus des tartines du
Roi ?
— L’ordre d’aller gouverner Saint-Dizier ou l’exil. Il
le sait bien. Il dit que ce sera sa mort. Mais il y court.
— Avec tout l’esprit qu’on vous prête, n’avez-vous pas
d’influence sur lui ?
— Si fait, mais elle s’arrête là où commence celle de
la Moret.
— Votre père a raison, mon filleul, reprit Madame de
Guise avec un nouveau soupir, mes fils sont de grands fols ! L’archevêque
fait le gracieux avec la Charlotte ! Et Joinville fait pire avec la
Moret ! Ces Guise sont d’inéducables rebelles. On se croirait revenu au
temps de la Ligue !… Faute de pouvoir vaincre le Roi par les armes, ils
tâchent de le faire cocu.
— Bellegarde, dit Bassompierre, planta jadis des cornes
au Roi avec la belle Gabrielle et le Roi s’en soucia fort peu.
— Oui, mais avec l’âge, Henri a appris la jalousie.
Quant à Charles, j’ai un marché à vous proposer de la part de sa femme.
— Mais je ne vois pas la petite Duchesse de Guise, dit
Bassompierre. Encore, ajouta-t-il en s’inclinant, que je la cherche fort peu. À
mon sens, la bru ne vaut pas la belle-mère…
— Bassompierre, vous êtes un déshonté flatteur. Vous ne
verrez pas ma bru. Elle est mal allante. Elle a mangé trop de melons et souffre
d’un grand dérèglement des boyaux.
— Comme le Roi, et pour la même raison. Mais pour lui,
boyaux ou non, il viendra, parce qu’il vous aime, Madame.
— Et aussi pour garder l’œil sur ses tartines.
Bassompierre, ma petite bru est désespérée. Elle dit qu’en un an Charles a
perdu au jeu avec vous plus de cinquante mille livres.
— Le Duc me suspicionne-t-il de tricher ? dit
Bassompierre avec hauteur.
— Pas du tout. Et on ne dit pas
« suspicionne » mais « soupçonne ».
— « Suspicionne » est dans Montaigne.
— Au diable votre Montaigne ! On ne le dit plus,
c’est tout ! Mon ami, ne me faites pas enrager avec vos arguties !
J’ai un marché à vous proposer de la part de ma bru. Elle vous donnera dix
mille livres par an, si vous cessez de jouer avec Charles.
— Cet arrangement n’est pas possible, Madame, dit
Bassompierre.
— Pourquoi ?
— J’y perdrais trop.
Je ris à cela et Noémie pouffa derrière sa main.
— Vous êtes une sotte, ma fille, dit la Duchesse.
Mais elle ne put en dire davantage. La Comtesse de Moret
venait droit sur nous, la main posée sur le poing de Joinville.
— Il semble, dit Madame de Guise entre ses dents, qu’il
va falloir, à la parfin, que j’accueille ce paquet. Je hais cette fille !Elle a la moitié plus de tétons qu’il n’en faut.
Sur ce, elle nous quitta, Noémie dans son sillage.
— La Moret, dit Bassompierre, aura le plus bref accueil
du monde. Non point parce qu’elle est trop mamelue, mais parce que voici le
Comte de Soissons, lequel est accompagné, chose étrange, par le Marquis de B.
— Et pourquoi « chose étrange » ?
— Parce que le Comte de Soissons est prince du sang et
déteste les bâtards. Soissons a tort. À mon sentiment, les
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