L'abandon de la mésange
au couvent, ce sont les
religieuses qui mènent. Et puis les religieuses, elles n’ont plus besoin de
recevoir leur diplôme.
– Si je suis assez vieille pour
enseigner, je suis assez vieille pour être respectée.
Blanche s’agitait. Cette entorse à la
bienséance était un geste isolé et les religieuses auraient dû faire preuve de
compréhension. Élise avait été radieuse toute la semaine en lui racontant,
ainsi qu’à Micheline, dans le menu détail, tout ce qu’elle avait fait en
classe. Blanche reconnaissait chez sa fille beaucoup des traits de sa
grand-mère, sous le couvert d’une timidité semblable à la sienne.
– Élise, dis-moi que tu n’as pas aimé ta
semaine.
– Un peu plus et tu avais du crottin sur
tes chaussures… puis on sentait le fumier dans la maison… !
Élise foudroya sa sœur du regard. Elle était
désolée du désarroi de sa mère, mais ne regrettait aucunement d’être sortie
ainsi du bureau de la directrice. Assise à la table de la cuisine, Blanche
ferma les yeux quelques instants et Élise sut qu’elle demandait conseil à son
père.
– Dérange pas papa pour ça, maman, on en
a déjà discuté.
– Vraiment ?
– Ma sœur, la sorcière, a fait parler la
tablette oui-ja.
– Et que t’a-t-il dit ?
– Qu’il était déçu d’apprendre que je ne
voulais pas enseigner.
– Tu ne veux pas enseigner ?
– Pas plus que toi, maman.
Blanche était assommée. Que s’était-il passé
dans la tête de sa fille pour expliquer un tel changement de cap ?
– Mais ton plaisir ?
– Mon plaisir dans la vie, maman, ça ne
sera jamais avec un patron qui veut me bosser. Tu comprends ça ?
– Non.
– Bien oui, maman, tu comprends, intervint
Micheline. C’est ça que tu nous racontes quand tu dis que tu étais toute seule
en Abitibi, dans les bois, à décider de ce que tu voulais. Même pas un médecin
pour te regarder faire une piqûre.
Pour une fois, Élise sut gré à sa sœur de se
mêler à une conversation qui ne la regardait pas.
– Mais moi, Élise, j’avais terminé mes
études et j’avais un diplôme.
– Moi aussi, maman, j’ai terminé mes
études, et j’aurais dû avoir un diplôme.
– J’avais quand même plus d’expérience de
la vie que toi. Élise serra les mâchoires. Rares étaient les filles de son âge
qui avaient recueilli les dernières paroles et le dernier souffle de leur père.
Sous son air déterminé, elle était inquiète de la réaction qu’aurait sa mère
quand elle lui révélerait ce dont elle avait vraiment envie. Encore une fois,
Micheline vint à son secours.
– Dis-nous ce que le oui-ja Lauzé a dit.
– Il a dit que c’était une bonne idée.
– Ah bon ! Il a dit ça ? Mais
quelle idée, Élise ?
– Que je travaille au Jardin botanique ou
chez un fleuriste, parce que, si vous vous rappelez bien, il voulait que je
connaisse la terre et la campagne.
La mandibule de Blanche se décrocha, mais elle
se ressaisit assez rapidement pour entendre Élise raconter sa passion des
fleurs et de la terre.
– Je suis ta fille, maman. On travaille
ensemble dans le jardin depuis que je suis haute comme trois pommes. Et puis
papa me disait que lui et toi, vous aviez aimé changer la terre, et que s’il
avait pu, il aurait habité la campagne.
– D’accord, je comprends… Mais dis-moi,
Élise, il n’y a pas de patron au Jardin botanique ou chez un fleuriste ?
* * *
Élise était incapable de dormir. Sa mère
n’avait pas compris son nouveau projet et soupçonnait que son idée d’habiter
une ferme fût celle de Côme Vandersmissen et non la sienne. Élise avait
répondu : « Est-ce que ça ferait une grande différence ? »
C’était la première fois de sa vie qu’elle tenait tête à sa mère et elle en
était très bouleversée. Depuis le décès de son père, elle avait vécu en
symbiose avec sa mère et sa sœur, et elle ne voulait pas avoir le sentiment de
trahir qui que ce soit en s’écartant du chemin qu’on lui croyait tracé.
Semblant s’infiltrer par les moustiquaires,
une grande tension envahit la maison et Élise passa le plus clair de son temps
à piocher dans le jardin. Elle taillait, binait, grattait. Elle savait Côme
tout près d’elle, maintenant qu’il était rentré de Sainte-Anne-de-la-Pocatière
pour l’été. Elle lui en voulait d’avoir mis leurs amours en veilleuse et
languissait de voir poindre la fin du mois d’août, où elle
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