L'abandon de la mésange
bien la
campagne. Maintenant, écoutez bien. Je vois quatre vaches, deux cochons, et
puis tout à coup il y a trois poules qui, affolées, sortent du poulailler en
caquetant et en perdant leurs plumes. Combien est-ce que je vois d’animaux ?
– Neuf !
– Neuf ! Vous êtes très
bonnes ! Oh ! voilà que les deux cochons viennent de disparaître.
Combien en reste-t-il ? Sept ? Mais vous êtes des championnes !
Élise continua à faire des calculs avec les
fillettes, qui additionnaient tantôt des animaux, tantôt des pots de fleurs.
Elles comptèrent aussi des paniers de pommes de terre, qu’elles achetaient si
elles étaient des dames de la ville ou vendaient si elles étaient des
fermières. Élise prit plaisir à ce jeu et, le cœur léger, accompagna les élèves
dans la cour de récréation. Les fillettes l’entourèrent, lui redemandant des
histoires de campagne et de ferme. Elle promit de leur en raconter d’autres dès
qu’elles retourneraient en classe, préférant pour l’instant tenir la corde à
danser.
Elle passa la semaine à amuser les enfants en
leur parlant de la campagne. Elle donna une dictée qui contenait les mots
« coq » et « poule », « lapin »,
« grain » et « carotte ». Elle parlait des mois et des
saisons en se référant aux semis et aux récoltes. Elle fit même le catéchisme
et les prières tantôt à dos d’âne derrière la Vierge, tantôt dans la crèche,
selon que les petites étaient, ce jour-là, berger ou mage, et tantôt en maillot
de bain avec Jean-Baptiste, dans un fleuve qui s’appelait Jourdain. Les petites
apprenaient les couleurs aux noces de Cana, en coloriant les verres de vin, les
fruits et les légumes du repas, ainsi que les fleurs des tables et du bouquet
de la mariée, sous un arc-en-ciel magnifique avec son violet et son indigo, et
dont les extrémités indiquaient l’endroit où les mariés trouveraient leurs
cadeaux. Pour les détendre, elle leur apprit, en anglais, la chanson Old
McDonald Had a Farm.
Le vendredi après-midi arriva malheureusement
trop vite et Élise pénétra dans sa classe avec une légère appréhension. Les
religieuses l’y avaient précédée, prêtes à évaluer son autorité à la discipline
du groupe à son arrivée.
Les petites entrèrent en lui faisant des clins
d’œil, le sourire aux lèvres. Élise fit la prière de l’après-midi, que les
petites choisirent de dire en maillot de bain aux côtés de Jean-Baptiste
puisque la journée était exceptionnellement chaude même si le ciel se couvrait
et annonçait des orages.
– Mais ça va être bon pour les jardins,
hein, mademoiselle Lauzé ?
Les religieuses s’agitèrent sur leur chaise.
L’heure qui suivit fut à l’image des leçons de la semaine. Après avoir joué à
« j’arrive du marché et, dans mon panier, j’ai une pomme, puis une pomme
et une banane, puis une pomme, une banane, une poire, des raisins… », une petite
fille se leva et, portant un fictif panier, alla en offrir le contenu aux
religieuses pour leur collation.
– J’arrive du marché et, dans mon panier,
j’ai, pour votre collation, une pomme, une banane, une poire, des raisins, une
pêche, une banane…
– Non ! crièrent les autres. Une
tablette de chocolat et une brosse à dents.
Élise fut ravie. La petite ne pleura pas même
si elle s’était trompée. Elle offrit les fruits de son panier, forçant les
religieuses à tendre la main pour les prendre, puis elle regagna sa place. La
directrice de l’École normale se leva, imitée par les autres religieuses, et,
sans dire un mot aux enfants, elles sortirent de la classe comme un vol
d’étourneaux.
– Mademoiselle Lauzé, je vous attends à
mon bureau lundi matin, à la première heure.
La voix était si impérative qu’Élise la reçut
comme un coup de fouet en plein cœur. Elle haussa les épaules et regarda les
vingt-trois frimousses qui avaient toutes cessé de sourire.
– Les sœurs ont pas aimé nos
fruits ?
– Je pense que les sœurs ont pas aimé la
campagne. Mais moi, je vous ai aimées. Vous avez été sages, obéissantes et
polies, mais, surtout, vous avez su toutes les réponses.
– Est-ce que vous allez vous faire
chicaner ?
– Peut-être… Mais j’ai besoin de vous.
Qu’est-ce que je devrais apporter dans ma serviette ?
Les enfants éclatèrent de rire. Une Louise
proposa des œufs, pour les lancer, suivie d’une deuxième Louise qui mit dans
Weitere Kostenlose Bücher