L'abandon de la mésange
dire ?
– Je te demande si ce serait grave.
– Élise ! Ce serait une raison
suffisante pour que je te quitte immédiatement.
Élise rebroussa chemin et, Côme à ses
trousses, retrouva les Vandersmissen dans la cuisine.
– J’ai informé votre maman que vous étiez
ici, Élise. Elle vous demande de rentrer le plus tôt possible.
– Je vais rentrer ce soir.
– Pas question que tu rentres ce soir,
Élise. Tu vas dormir dans ma chambre et moi dans le salon.
– Côme a raison.
La nuit venue, Élise ne put fermer l’œil, tant
elle regrettait son voyage impromptu. Sa mère devait fulminer, certes, mais
elle devait davantage être déçue par ce qu’elle appellerait « la crise
d’adolescence » tardive de son aînée. Non, sa mère ne pouvait comprendre
la profondeur de ses amours. Il n’y avait que Shakespeare qui semblait y
croire.
Les Vandersmissen étaient charmants, comme
toujours. Seul Côme paraissait inquiet et tendu. Mais quel bonheur de constater
qu’il l’aimait encore ! C’est dans ses bras qu’elle aurait aimé passer la
nuit et non dans ses draps.
Élise entendit descendre Françoise, puis le
bruit de la chasse d’eau, puis plus rien… Françoise ne remontait pas. Fronçant
les sourcils, Élise sortit de la chambre sur la pointe des pieds, descendit
l’escalier et vit Françoise assise près de Côme qui lui tenait une épaule. La
jeune fille pleurait.
Élise étouffa. Côme l’aperçut, repoussa Françoise
et bondit de son lit improvisé. Élise se mit à trembler. Son cœur ratait des
battements et elle était incapable de retrouver son souffle. Côme l’étreignit.
– Viens là, ma douce. Viens.
Il l’attira dans la cuisine et lui avoua que
Françoise était là parce qu’elle avait une peine d’amour telle qu’elle pensait
entrer au couvent.
– Elle n’a pas une tête de bonne sœur,
Côme. Trop maquillée, talons trop hauts, jupe trop serrée. Crois-moi, elle n’a
pas une tête de bonne sœur.
– On est du même avis. C’est justement ce
que je lui disais.
Élise retourna au salon et tendit un kleenex à
Françoise, qui le refusa et monta à sa chambre sans dire un mot. Élise détesta
la beauté de son épaisse chevelure de jais. Elle la suivit et repoussa la main
de Côme qui tentait de la retenir.
– Je ne sais pas ce qu’il faut que je
digère, Côme, mais j’ai quelque chose de coincé ici.
Elle passa le reste de la nuit à la fenêtre.
La campagne était plus noire encore, plus silencieuse, moins belle. Côme frappa
discrètement à sa porte, mais elle ne répondit pas.
Au matin, M. Vandersmissen la trouva
assise sur la galerie, sa valise à ses pieds.
– Les choses ne sont jamais comme on le
croit, mon petit.
– Vous voulez me dire que Françoise est
sa petite amie ? J’ai longuement réfléchi, cette nuit, et c’est la
conclusion à laquelle je suis arrivée.
– Mais non, mon petit !
Il avait éclaté d’un rire qui se voulait
rassurant.
– Françoise aussi est une amie de la
famille. Et notre famille ne compte que trois membres officiels et une petite
fiancée non encore officielle.
Élise lui prit la main.
– Je suis bien ici, monsieur
Vandersmissen. Côme dit qu’on va se retrouver le vingt-huit mai mille neuf cent
soixante et un ! J’ai du mal à croire ça… C’est trop loin, beaucoup trop
loin pour moi. Il va me manquer énormément, mais il me dit que c’est le prix à
payer pour qu’il puisse obtenir son diplôme.
– Rappelle-toi simplement qu’il faut
cultiver les sentiments et les protéger du gel.
– C’est ce qui me fait peur. Est-ce que
je vais être capable de protéger Côme du gel ?
– Je suis d’accord avec toi ; ce
sera une longue attente.
Élise se leva, lui fit la bise et lui demanda
de la conduire à la gare, où elle prendrait le train qui venait des Provinces
maritimes. Côme arriva et s’empara de sa valise.
– C’est moi qui irai, Élise, quand
même !
Elle haussa les épaules.
Durant tout le trajet, Côme lui raconta
l’immense peine d’amour de Françoise, son courage et sa détermination.
– Je n’ai pas envie du tout d’entendre
parler de son courage et de sa détermination. Ce n’est pas un peu ce que tu me
demandes, courage et détermination ?
– Justement, ma douce. Ce sont des
qualités d’âme qui m’impressionnent. L’abnégation, aussi.
Élise lui jeta un regard de côté.
– J’ai du mal à te croire ; tu
parles trop
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