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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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la
serviette des tomates pourries. Élise n’en revenait pas quand la troisième
voulut qu’elle apporte une tapette à mouches. Elle les interrompit, expliquant
que sa serviette était beaucoup trop petite. Alors, Marie leva la main et dit
qu’elle devrait peut-être simplement apporter « trois plus deux égalent
cinq mouchoirs ».
    Élise entra dans le bureau de la directrice.
    – Honte, mademoiselle Lauzé ! Je
n’ai jamais eu aussi honte de ma vie. On se serait cru dans une colonie de
vacances ! Pire, un mardi gras ! Que faites-vous du programme ?
    – J’ai respecté le programme. Nous avons
couvert toutes les matières, y compris l’histoire et la géographie.
    – J’imagine que vous avez fait la valise
des explorateurs ?
    Élise était heurtée par le mépris qui lui
était servi sous une pluie de postillons.
    – Non, ma sœur. Nous avons voyagé avec
Radisson et nous en avons profité pour identifier tous les animaux qu’on voyait
sur les rives.
    – Venus s’abreuver, évidemment.
    – Évidemment. Pouvez-vous me dire le mal
qu’il y a à enseigner la matière d’une façon différente ?
    La religieuse fixa son regard sur celui
d’Élise, la bouche pincée, respirant fort par le nez.
    – Êtes-vous consciente, mademoiselle
Lauzé, qu’il nous sera difficile d’émettre un diplôme d’enseignement à une
étudiante qui ne sait se plier aux exigences d’une profession et qui, de plus,
refuse de se soumettre à nos évaluations ?
    Élise ne répondit rien, se sachant en pleine
tempête.
    – Que feriez-vous à ma place,
Élise ?
    Un malaise d’abord sournois, puis de plus en
plus criant, battit aux tempes d’Élise, qui cligna des yeux pour le faire fuir.
Elle avait envie de répondre qu’elle commencerait par nettoyer ses dentiers, se
laver et se mettre du déodorant, et qu’elle essuierait ensuite ses lunettes…
Que pouvait-elle répondre à cette question ? Elle n’avait rien à dire. Les
enfants s’étaient amusées tout en apprenant. Quant à elle, elle avait enseigné
tout en s’amusant.
    – Que feriez-vous, Élise ?
    Le malaise s’accrochait, lui comprimant les
poumons. Le cœur étouffa lui aussi. Une porte venait de lui claquer au visage
et, depuis quelques minutes, Élise ne se sentait plus la bienvenue dans sa
propre vie.
    – J’irais féliciter les enfants et je
leur remettrais des images, ma sœur. Et je leur donnerais congé de devoirs et
de leçons pour la fin de semaine.
    Elle fit une petite révérence, un discret
salut de la tête, puis sortit du bureau.
    – Revenez ici, mademoiselle Lauzé, nous
n’avons pas terminé !
    Élise ralentit le pas, s’arrêta et se
retourna.
    – C’est vrai que vous n’avez pas terminé,
ma sœur. Moi, oui.
    Elle continua son chemin dans le couloir.
    – Ici, Élise !
    Élise chantonna pour elle-même :
« Promenons-nous dans les bois… Loup y es-tu ? – Non. Je prends
mes papiers. »
    Elle entra dans sa classe, se dirigea vers son
pupitre et pria le professeur ébaubi de l’excuser tandis qu’elle prenait ses
effets. Elle bourra sa serviette et ressortit en ânonnant de son meilleur ton
de couventine :
    – Au revoir et merci, ma sœur.
    Et sur le même ton elle susurra, les dents
fermées :
    – Elle pue beaucoup, la supérieure.
    Elle prit son imperméable et son parapluie.
    – Ici, tout de suite !
    – « Promenons-nous dans les bois…
Loup y es-tu ? – Non. Je mets mes bottes. »
    Elle enfila ses caoutchoucs et sortit de
l’école.
    – Nous allons sévir !
    Elle offrit son visage à la pluie, non pour
noyer des larmes qu’elle n’avait pas, mais pour que l’eau caresse le sourire de
soulagement qui lui parait les joues. Elle ouvrit finalement son parapluie.
    « Promenons-nous dans les bois… Loup
reviens-tu ? – Non, jamais plus ! »

– 9 –
     
     
    Blanche fut soufflée d’apprendre que sa fille
avait quitté l’école et que les religieuses menaçaient de lui refuser son
diplôme de brevet B. Elle ne pouvait imaginer que son aînée, si raisonnable,
ait pu faire une chose aussi irresponsable. Sa fille, au seuil de sa vie, les
mains vides et sans diplôme !
    – Maman, tu sais bien que je n’avais
jamais pensé tirer ma révérence comme ça.
    – J’espère !
    Élise se braqua devant la réaction de sa mère.
    – Les enfants méritaient mieux et moi
aussi, maman. Pourquoi est-ce que j’aurais accepté de me faire insulter ?
    – Parce que,

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