L'abandon de la mésange

que non. Le
risque serait trop grand.
    – Si seulement je pouvais parler à Côme…
    Micheline éclata de nouveau en sanglots.
Devant l’air souffrant quoique déterminé de sa sœur, Élise se moucha de nouveau
dans son kleenex, qui n’était plus qu’une petite boule de papier détrempé.
    – J’ai l’impression que tu me demandes
d’assister à une mise à mort.
    – Pourquoi faut-il que tu en fasses ton
problème, Élise ?
    – Parce que c’est toi qui en as fait mon
problème.
    Sans au revoir, sans même regarder sa sœur,
Élise repartit en direction du terminus d’autobus, les épaules voûtées tel un
pèlerin en quête d’un refuge.
     
    * * *
     
    Les cauchemars furent si effrayants qu’Élise
appréhenda le sommeil. Elle se leva pour la seconde moitié de sa nuit, d’autant
plus troublée que Côme n’était pas tellement emballé par son idée.
    – Je ne te demande rien, Côme, je te
supplie. Si tu veux que je me mette à genoux, je le ferai.
    Côme la regarda d’un air presque aussi
souffrant que le sien. Il la prit dans ses bras en tentant d’apaiser les
sanglots qui la secouaient.
    – Je t’aime tellement, Côme.
    – Je sais, je sais. Mais es-tu certaine,
Élise, que toi et moi on n’aura pas d’enfant ?
    – Je ne suis certaine de rien, Côme.
Pensons-y. Mais il y a un tout petit bébé qui est nourri par ma sœur…
    Côme l’étreignit, lui passant délicatement les
doigts à la ligne des cheveux. Il l’embrassa, la ramena dans le lit et l’aida à
s’allonger.
    – Si c’est ce qu’il faut pour ton
bonheur, alors c’est ce qu’on fera.
    – Pour notre bonheur.
    – Ton bonheur fera toujours le mien.
    Élise ne put se rendormir. Chaque fois qu’elle
se tournait vers Côme, elle voyait luire ses yeux dans le noir.
    – Tu ne dors pas, Côme ?
    – Non. J’ai beaucoup à penser.
    – Moi aussi. Je vais aller rejoindre ma
sœur au bureau et lui dire qu’on va l’aider.
    – Je crains que ce ne soit pas l’aide
qu’elle recherche.
    – Il y va presque de l’éternité de nos
parents.
    – Tu compliques trop les choses. Il y va
de la vie de ta sœur et de ce qu’elle veut en faire.
    – De sa vie et de l’autre… Veux-tu qu’on
parte pour Montréal, Côme ?
    Côme se leva en grognant, enfila son pantalon
par-dessus des sous-vêtements longs qu’il trouvait ridicules et, en moins de
deux, se retrouva au volant, une Élise fébrile à ses côtés.
    – Je ne t’ai jamais vue comme ça.
    – C’est que ma sœur doit souffrir
énormément. Et si ça se passait mal ? Et si elle faisait une
hémorragie ? Et s’il fallait l’hospitaliser de toute urgence ?
    – Tu parles comme si tu ne croyais plus
pouvoir la convaincre. Élise accusa le coup.
    – Peut-être. J’ai beau être profondément
choquée et blessée, ma petite sœur a un problème.
    Il n’était pas encore neuf heures du matin
lorsqu’ils arrivèrent au parc de stationnement du bureau de Micheline.
    – Mais qu’est-ce que tu vas faire de ta
journée, Élise ?
    – Essayer de la vivre.
    Élise entra dans le chic bureau d’avocats. La
réceptionniste toisa son manteau afghan et son chapeau de lynx, ses bottes de
cuir lacées et son éternel sac en bandoulière.
    – Vous avez rendez-vous ?
    – Je suis la sœur de Micheline Lauzé.
    Micheline vint la rejoindre aussitôt et
l’invita professionnellement à passer à son bureau. Élise était impressionnée
par le calme de sa sœur. Personne n’aurait pu se douter qu’elle couvait un bébé
et un indicible tourment.
    – Merci d’être là… Tu me fais peur,
Élise. J’ai eu l’impression que tu me poussais en bas d’une montagne.
    – Est-ce que je peux encore te
parler ?
    – Si c’est pour me dire de reculer, non.
Si c’est pour me dire que tu viens avec moi ce soir, oui.
    Élise enleva son chapeau et se passa la main
dans les cheveux.
    – Te dire que Côme est d’accord pour
adopter le bébé, ça va dans la colonne de l’interdit ?
    Micheline fit signe que oui.
    – Ça nous serait tellement facile d’être
les plus heureux des parents, Micheline.
    – Sauf que pendant ce temps-là, moi, je
serais la plus malheureuse.
    – On a encore quelques heures, non ?
    – Non.
    Élise n’insista plus et partit se promener
dans les rues de Montréal malgré la neige folle qui tombait encore. Elles
s’étaient donné rendez-vous devant le bureau pour le lunch et Micheline vint la
retrouver,