L'abandon de la mésange
entendu que la fin de la phrase
et elle leva la tête en direction des siens. Elle fronça les sourcils et
s’approcha de sa sœur.
– Et qu’est-ce qu’ils ont, les hommes
comme ça ?
– La braguette en yoyo.
– Tu parles quand même de mon mari,
Micheline.
Blanche aurait voulu couper le regard haineux
qu’Élise avait eu pour sa sœur, mais elle n’avait trouvé aucun mot pour
désamorcer ce qu’elle avait redouté. Quant à Élise, elle aurait voulu ajouter
que Côme avait changé, qu’il lui avait juré que ses escapades étaient
terminées, et qu’il n’avait agi de la sorte que pour se convaincre qu’il avait
encore du succès auprès de la gent féminine, « une folie, ma douce,
probablement en réaction au poids de mon alliance » ; qu’il avait eu
une peur panique du mariage, mais qu’il était maintenant d’avis que le célibat
n’avait rien d’intéressant en comparaison du sourire qui l’attendait à la
maison. Élise aurait pu ajouter également que jamais son mari n’avait été aussi
tendre et que jamais non plus elle n’avait pu respirer aussi aisément. Mais sa
sœur – le savait-elle ? – venait de la blesser au plus profond
de sa chair. Elle fit un sourire qu’elle cassa aussitôt.
– C’est extraordinaire ! Quand tu
parles comme ça, Micheline, toute la maison se refroidit !
– 25 –
1968
Élise aurait voulu voler au-dessus de tous les
nuages de l’année. Mais les cumulus appétissants et bouffons s’étaient faits
rares, supplantés par des formations orageuses. Puisque décembre ne lui avait
pas promis de petit messie et que les rois de janvier avaient passé tout droit
devant sa porte, elle s’était décidée, à l’insu de Côme, à confier au médecin
ses difficultés à concevoir.
– La science travaille à ce problème et
d’ici cinq ans je suis à peu près certain qu’on pourra agir. Vous avez…
Il consulta son dossier.
–… bientôt vingt-huit ans. Si vous voulez, je
peux quand même vérifier si vos trompes ne sont pas bouchées, et les déboucher,
le cas échéant.
Était-ce la nervosité, la timidité ou la
fatigue ? Élise éclata de rire. En entendant le mot « trompe »,
elle s’imagina musicienne ou éléphante…
– Excusez-moi.
– Y-a-t-il autre chose ?
Autre chose ? Toute sa vie et tous ses
espoirs se trouvaient peut-être coincés dans une trompe et il lui demandait
s’il y avait autre chose ! « Oui, il y a autre chose, pensa-t-elle.
Je ne veux pas échapper à la maternité. Je veux plein de petits Cômes dans ma
maison. Je veux faire aimer la vie. Mais, d’abord et avant tout, je veux
l’aimer moi-même et me la rendre éternelle. »
– Rien. J’y réfléchis, pour les trompes.
Elle éclata encore de rire.
– Si j’ai bien compris, les trompes des
femmes sont en quelque sorte des trompe-la-mort…
Le médecin ne fronça même pas les sourcils.
Plaçant son dossier sur le coin du bureau, il la pria de sortir.
– Revenez me voir quand vous aurez
réfléchi.
Élise se sentit vexée.
* * *
Le 5 février, Micheline téléphona. Croyant que
sa sœur voulait lui rappeler le jour de l’anniversaire de leur père, Élise, dès
qu’elle reconnut sa voix, s’empressa d’ajouter : « Je sais. »
Il y eut un interminable silence au bout du
fil.
– Comment ça, tu sais ?
Micheline avait sa voix des catastrophes. La
voix qu’elle avait eue au décès de leur père.
– J’ai besoin de toi.
– J’arrive.
Élise ne posa pas de questions et elle se
retrouva au terminus à temps pour prendre un autobus. En arrivant à Montréal,
elle eut un choc en voyant Micheline, qui l’attendait. Sa sœur était cernée,
émaciée, l’ombre d’elle-même. Si, la veille, Élise avait encore sur le cœur les
propos qu’avait tenus Micheline le jour de Noël, de la voir subitement si
fragile la bouleversa. Micheline se précipita dans ses bras et éclata en sanglots.
Élise, toujours incapable de voir pleurer sa sœur, l’imita.
– Voyons, qu’est-ce qui se passe ?
C’est Claude ? Tu as perdu ton emploi ? Rassure-moi ! Dis-moi
que ce n’est pas maman…
À chaque question, Micheline hochait la tête.
Elles mirent longtemps avant de trouver un endroit où s’isoler. Elles
marchèrent sur le boulevard Dorchester et s’engouffrèrent finalement dans la
cathédrale Marie-Reine-du-Monde. Élise tint sa sœur par l’épaule. Micheline
n’arrêtait pas de
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