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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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toujours aussi belle malgré sa maigreur et sa pâleur.
    – J’ai pris mon après-midi.
    Le bureau de Micheline était situé dans le
Vieux-Montréal, à l’angle des rues Saint-Pierre et Saint-Paul, à proximité de
la caserne de pompiers de la place d’Youville. Elles marchèrent jusqu’au
boulevard Saint-Laurent et, de là, jusqu’à la rue Bonsecours, où elles
entrèrent dans le restaurant Les Filles du roy. Micheline avait une
envie terrible de manger un ragoût de boulettes, un plat qu’elle n’aimait
habituellement que pendant la période des fêtes. Élise fut attendrie par
l’appétit vorace de sa sœur et se demanda si elle aussi, un jour, mangerait
comme une ogresse. Elles parlèrent de tout et de rien, du docteur Christian
Barnard et de sa deuxième transplantation cardiaque, du film Bonnie and
Clyde que Micheline avait aimé.
    – Je n’aurais quand même pas voulu
défendre des bandits pareils… Le cinéma a le don de vouloir nous faire coucher
avec des truands !
    – C’est pas des truands, c’est des
acteurs.
    – C’est vrai. As-tu remarqué le nombre de
filles qui portent un béret comme elle, dans le film ?
    – Non.
    Micheline parla ensuite de la mort de Che
Guevara, survenue en Bolivie.
    – Il est mort, le beau docteur ?
    – Voyons, Élise… Il est mort en octobre
dernier. On dirait que tu vis plus sur la planète…
    – Je vis plus sur la planète depuis que
je suis retournée à la maison… Je pense être sur celle du Petit Prince. La
rose, c’est moi…
    Micheline tiqua avant d’enchaîner, mal à
l’aise :
    – Je pensais à lui à cause du béret.
    Elles parlèrent ensuite de leur mère qui ne
rajeunissait pas, accusant allègrement ses soixante ans.
    – Il faudrait qu’on la fête.
    Élise vit s’ouvrir toute grande une porte et
s’y faufila, armée de courage.
    – Et si, pour cadeau, on lui annonçait
qu’elle va être grand-mère ?
    Micheline cessa de sourire, blessée. Élise
s’enhardit, refusant de baisser les bras.
    – Dis-moi simplement que t’as pas pris ta
décision à la légère. Convaincs-moi que ce que Côme et moi on t’offre est pas
intéressant.
    – Élise, je sais que tu meurs d’envie
d’avoir un enfant. Moi, j’en veux pas maintenant et j’en voudrai jamais.
    Élise tourna les yeux vers la fenêtre et y
regarda fuir le temps.
     
    * * *
     
    Le sous-sol était sombre, quoique joliment
décoré. L’amie de Micheline lui en avait confié la clef. Élise et sa sœur
allumèrent les lampes, pour tenter de s’y sentir à l’aise.
    – J’aime pas les sous-sols, Micheline. Ça
fait caveau.
    – Je n’ai pas le choix.
    – On attend un médecin ?
    – Qui a parlé de médecin ?
    – Toi.
    Micheline hocha la tête et Élise s’affola. Sa
sœur dans les mains d’une tricoteuse ! D’une faiseuse d’anges ! Une
femme édentée à tignasse grise.
    – Je comprends pas… Tu es avocate,
Micheline. Il faudrait pas te retrouver dans un hôpital montréalais, en
hémorragie…
    – Tu me fais peur, Élise.
    Voyant se décomposer le visage de sa sœur,
Élise sut qu’elle avait enfin touché une corde sensible. Elle ne put toutefois
continuer, le son lugubre d’un carillon venant de retentir. Elle pensa au glas.
    Micheline ouvrit tandis qu’Élise passait dans
la pièce voisine. Par l’entrebâillement de la porte, elle aperçut avec soulagement
une femme dans la cinquantaine, sympathique, propre et bien mise. La dame
tenait une trousse médicale qui ressemblait davantage à une serviette d’avocat
qu’à la vieille trousse de leur mère avec laquelle elles avaient joué pendant
toute leur enfance. Élise perçut de l’inquiétude dans la voix de sa sœur. Elle
entendit des bribes de conversation et crut comprendre que Micheline était
enceinte depuis octobre. Elle compta sur ses doigts et tiqua. Apparemment, la
femme fit de même, puisqu’elle reprocha à Micheline d’avoir attendu trop
longtemps. Élise sentit de l’hésitation dans la voix de la femme, dont le ton
changea.
    – T’es à risque. Je sais pas si c’est une
bonne idée de faire ça ici.
    – Où d’abord, si c’est pas ici ?
    – Toi, dans un hôpital. Moi, nulle part.
    – Un hôpital…
    Élise se tenait le ventre. Moins de six mois à
faire. Trois mois… et rien ne paraissait encore. Un bébé qui arriverait en même
temps que les fraises. Les fraises, c’était demain. N’écoutant que ses
craintes, elle entra dans la

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