L'abandon de la mésange
Côme changea de direction et se réfugia dans les bras d’Élise, dont
le cœur tomba à la renverse. Marcel aurait voulu crier de joie, mais il se
retint et enfila son manteau.
– Élise, oh ! Élise, je ne sais plus
que faire… Je suis terriblement, terriblement désolé… Je suis terriblement,
terriblement seul…
Élise ne répondit rien. Côme implorait-il son
pardon en se disant désolé ? Elle était si bouleversée qu’elle ne savait
que comprendre. Elle n’avait qu’une envie, effacer leur différend et être près
de lui. Rentrer chez elle. Côme continuant de pleurer et de renifler, elle
rompit l’étreinte pour sortir des kleenex de sa poche. Penaud, il se moucha, et
elle l’empêcha de s’essuyer les yeux, préférant lécher les larmes qui lui
coulaient sur les joues et aspirer les gouttelettes accrochées à ses cils. Il
sanglota encore plus fort.
– Tu es tellement, tellement bonne.
Élise poussa presque un cri de joie lorsqu’il lui
demanda ce qu’il lui fallait faire pour qu’elle lui pardonne. Affolée, elle
allait répondre « rien », mais elle se retint juste à temps.
Pour la deuxième fois de sa vie, Élise
franchit le seuil de sa maison dans les bras de son mari, dont l’haleine goûtait
le givre. Ils conjurèrent le froid de la nuit en se serrant l’un contre
l’autre, enchevêtrant leurs membres au point de renoncer à les démêler, et ils
s’endormirent en entendant le chasse-neige pousser la neige sur leur balcon.
Le jour était déjà bien entamé lorsqu’ils
allèrent chercher M. Vandersmissen. C’est à trois et dans l’hilarité la
plus juvénile qu’ils remirent les fleurs blanches dans le sapin.
– Il y a déjà deux ans que nous
l’attendions, ce Noël. N’est-ce pas, mon fils ?
Le 14 décembre, la maison était remplie de vie
et d’espoir, et Élise téléphona chez sa mère pour inviter sa famille au
réveillon. Son bonheur fut sourd à la méfiance perceptible dans le ton de
Blanche et à la déception discernable dans celui de Micheline. Malgré leurs
doutes, ils vinrent tous, le sourire aux lèvres et les vœux à la bouche. Même
Paul porta trois toasts au bonheur retrouvé. Blanche ne leva son verre qu’une
fois.
Élise demanda le silence pour offrir un cadeau
à son beau-père. Il fit « À moi ? » lorsqu’elle lui présenta une
immense boîte plate. Il déchira le papier timidement, regarda à l’intérieur,
puis éclata en sanglots. Élise avait fait encadrer les fuseaux d’Amélie sur une
serviette de table brodée par cette dernière. L’effet était des plus
romantiques.
– Mais je me suis permis de garder
quelques fuseaux.
– Ils sont à toi.
Puis ce fut au tour de M. Vandersmissen
de demander le silence. Il offrit alors à Côme et à Élise une toute petite
boîte. Ce fut Élise qui l’ouvrit, et elle secoua la tête en la refermant aussitôt.
– Non, je refuse. Nous refusons, Marcel.
C’est insensé…
– Quoi ? Qu’est-ce qu’on
refuse ?
Élise tendit la boîte à Côme, qui l’ouvrit
craintivement.
– Une clé !
– La clé de la maison. Il est temps que
je vous la cède, et j’aime bien ce petit appartement. À mon âge
canonique – n’est-ce pas, Côme ? –, je serai mieux au village.
– Non, Marcel.
– Tssst ! À la condition que je
puisse continuer de vous donner un coup de main.
Blanche secoua la tête. Elle aurait voulu se
réjouir, mais elle en était incapable. Paul regretta de ne pas avoir de
champagne à sabler, mais il porta un toast à la maison et à la famille qui
allait y vivre.
– En souhaitant que la cigogne soit
attirée par les nouvelles couleurs !
Micheline s’excusa et s’isola dans les
toilettes, dont elle ne ressortit que cinq minutes plus tard, empestant la
cigarette. Seuls Marcel et Côme éclataient de bonheur. En moins d’une heure,
ils furent tous deux ivres, pleurant le départ d’Amélie et le retour d’Élise,
qui en fut attendrie, tandis que Paul avait retrouvé sa vocation de confesseur,
écoutant tour à tour les confidences du père et du fils. Blanche et Micheline
ne cessaient de regarder leur montre, la même grimace d’inquiétude au visage.
– Souhaitons que ton père leur tienne la
main…
– J’aimerais mieux qu’il lui tienne la
braguette, à lui.
– Micheline !
– Maman, je sais de quoi je parle, quand
même ! Je les connais très, très bien, les hommes comme mon beau-frère.
Élise n’avait
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