Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
manquait aussi, avec ses réflexions
sur la vie. Et Jacqueline lui manquait, et même l’école.
    Paul s’était assoupi et, comme chaque fois,
Élise se demanda s’il rouvrirait les yeux. Elle comptait alors ses respirations
et en écoutait le bruit. Après avoir éteint, elle s’assit sur le fauteuil, et
elle était sur le point de s’assoupir lorsqu’elle vit un uniforme blanc, sans
tête, entrer dans la chambre. Puis elle aperçut le sourire de Wilson, petite
ligne blanche dans le noir. Il se dirigea vers elle, les semelles chuintant sur
le plancher. « Quel beau félin ! » pensa-t-elle avant de lui
sourire en faisant un petit signe de la main. Une réelle apparition !
    Wilson se pencha vers elle.
    – Mademoiselle Élise, je viens
d’apprendre que ton oncle… Je suis étonné de te voir. Je pensais plutôt saluer
ta jolie maman.
    – Il est préférable qu’elle dorme ses
nuits. C’est gentil d’être venu. J’avais complètement oublié que tu travaillais
ici.
    – T’as pas pu oublier, mademoiselle
Élise. On vient de me débaucher pour m’embaucher. Mais je recommence au pied de
l’échelle, de garde de nuit.
    – Je suis dans la même échelle que toi,
ici toutes les nuits…
    Ils sortirent sur la pointe des pieds après
avoir jeté un coup d’œil sur Paul. Élise ajusta la couverture.
    Le café était infect ; la lumière,
blafarde ; le teint du personnel, verdâtre. Élise avait le sentiment
d’être dans les limbes ou dans l’antichambre de la mort. Elle se savait fragile
et s’abandonna dans l’enveloppe ouatée de la nuit.
    – Avec ton beau sarrau blanc, Wilson,
j’ai pensé pendant deux secondes qu’il y avait un ange qui m’apparaissait.
    – Ou un bonhomme de neige !
    – Ah non ! Un ange. En fait, j’ai
aussi pensé que c’était la mort qui entrait par la porte.
    Elle détourna le regard, gênée de s’être
confiée.
    – Ça va, Élise ?
    – Non, Wilson. Je suis terrorisée. Je ne
veux pas être là quand il va mourir. Et je ne peux en parler à personne.
    – J’y serai, moi, si tu veux.
    – Le problème, c’est qu’on ne peut pas
prévoir…
    Wilson lui dit que ça ne devrait pas tarder et
s’en excusa.
    – Je sais à quoi tu penses, mademoiselle
Élise.
    – Je ne cesse d’y penser, Wilson. Mon
père est mort depuis près de quinze ans et je n’arrête pas d’y penser. Je n’ai
rien fait de ce qu’il fallait. J’essayais de le retenir, mais il voulait
partir. Je voulais qu’il me parle, mais il voulait se taire. Je croyais au
cauchemar, mais il me forçait à garder les yeux ouverts. J’ai compliqué sa
mort. Je la lui ai rendue difficile.
    Élise avait d’énormes billes qui lui roulaient
sur les joues. Elle confia aussi à Wilson qu’elle n’avait jamais réussi à
donner à son père l’éternité.
    – Je suis la fille la plus décevante du
monde, Wilson. Et pour mon père et pour ma mère.
    – Bêtises. Cesse de dire des bêtises. Ce
n’est pas toi la mourante, mademoiselle Élise. Tu viens de le dire, tu es au
pied de l’échelle.
    – Parce que je descends toujours sur les
serpents…
    Ils remontèrent à la chambre et Élise se
figea. Au chevet de Paul se trouvaient trois infirmières dont l’une lui posait
de l’ouate sur les yeux.
    – Oh non ! Pauvre oncle Paul !
Je l’ai laissé tomber… Il est mort abandonné…
    – Mais non… Il n’a pas voulu te peiner.
Rien n’est plus intime que mourir et il a voulu le faire seul. C’est bien.
    – On dirait que je suis une espèce d’ange
de la mort… Il y a eu mon père, puis Martin Luther King, puis mon oncle…
    – Mais non… Un « petite
mésange », peut-être, comme dans « mésaventure »…
    Wilson lui prit la main et l’entraîna hors de
la chambre, le temps que les infirmières s’occupent du défunt. Élise le suivit
en reniflant et il lui prêta son mouchoir, où étaient brodées ses initiales.
Elle s’épongea les yeux et le replia dans sa poche.

– 28 –
1970
     
     
    Les fêtes terminées, le deuil à peine étanché,
Élise retourna à l’école. À son grand étonnement, le directeur lui offrit une
classe à temps plein, le professeur de cinquième ayant déclaré forfait. Elle
mit tant d’énergie dans son travail que Côme, qui s’était d’abord réjoui, en
prenait maintenant ombrage.
    – Mais enfin, ma douce, on pourrait
peut-être aller au cinéma, se payer un souper en tête à tête…
    – Trop de

Weitere Kostenlose Bücher