L'abandon de la mésange
de
semaine, elles se retrouvaient parfois deux, parfois trois.
Élise et Micheline s’asseyaient chacune d’un
côté du lit, caressant les cheveux de Paul ou lui tenant la main.
– Si je pouvais, je vous emmènerais avec
moi… On aurait un plaisir éternel !
Lorsque Paul parlait de sa mort et de
l’éternité, Élise devait faire d’immenses efforts pour refouler la douleur de
son deuil, qui s’était ravivée dès qu’elle avait vu le teint hâve de son oncle,
si semblable à celui de son père, empalé par la souffrance. Parfois elle aurait
voulu fuir en hurlant, mais personne n’aurait compris.
L’odeur de la chambre était nauséabonde, la gang rène
continuant à ronger le pauvre corps de son oncle. Celui-ci les accueillait
toujours avec un sourire aux lèvres, les bras ouverts tels ceux du Christ de
Rio de Janeiro, comme il s’était plu à leur déclarer.
– Si j’avais eu les cheveux plus longs,
comme c’est la mode aujourd’hui, je pense que le Christ et moi, on se serait
ressemblé comme deux gouttes d’eau bénite !
Pour toute réponse, les deux sœurs lui avaient
peigné les cheveux avec leurs doigts, en prenant garde de ne pas lui égratigner
le cuir chevelu. Elles ne cessaient de lui sourire, attentives à tout ce qu’il
racontait.
– Tu savais, Élise, que ta mère et moi on
s’est retrouvés comme deux beaux colons en Abitibi, moi au magasin général et elle
au dispensaire ?
– Oui.
– Tu savais, Micheline, que ça a été les
plus belles années de ma vie, même si c’est là que j’ai enterré ma jambe ?
Je lui chante un petit requiem de temps en temps.
– Je sais.
– Est-ce qu’il y a quelque chose de moi
que vous ne savez pas ?
– On ne sait pas…
Élise lui épongeait le front et Micheline lui
caressait la main lorsqu’il lui arrivait de se taire, de fermer les yeux et de
sourire.
– J’aurais tellement voulu être prêtre.
Pensez-vous que j’en aurais fait un bon ?
– Je pense, mon oncle, que t’aurais
réussi là comme n’importe où ailleurs.
Micheline avait froncé les sourcils en
entendant sa sœur. Ni elle ni Élise n’avaient jamais cru ce que cette dernière
affirmait maintenant avec ferveur. Leur oncle leur avait toujours paru d’un
incommensurable pathétique. Une vie avortée d’elle-même. Un rêve brisé qui lui
avait apporté plus de sept ans de malheur. Une vie qu’il avait été condamné à
vivre en sautillant, puisqu’elle avait poussé la méchanceté jusqu’à lui
arracher une jambe et la santé. Micheline admirait la facilité de sa sœur à
réciter à Paul un encourageant chapelet de mensonges pieux
– Sauf la politique.
– Ah bon ?
– Non. Il faut être fait fort pour
mentir ; pour convaincre les gens que ce qu’on fait, c’est pour leur bien.
Non. Le ministre Vautrin nous donnait des culottes dans la colonie et disait
qu’avec ça on serait bien, ce qui a pas empêché les colons de mourir de froid
et de faim. Duplessis vendait nos forêts en disant que c’était bien. Kennedy a
failli faire sauter la planète au nom de la démocratie. C’est pas d’hier…
Pilate…
Épuisé, Paul ne parvenait pas toujours à
terminer ses phrases.
– Toi, Micheline, t’as choisi une
profession qui est cousine de la politique.
– Pas tout à fait, mon oncle. Je veux
aider les autres.
– Ah ! cousine des communautés
religieuses, d’abord. On est tellement pareils, toi et moi.
Micheline hocha la tête, sous le regard
ironique d’Élise.
– C’est dans cet hôpital que notre pauvre
Ovila de père a rendu l’âme à son Créateur, qui la lui avait malheureusement
prêtée sans intérêts. J’aurais aimé le connaître mieux, même s’il nous a fait
manger pas mal plus de misère que de bœuf.
Élise et Micheline ne disaient rien, glanant
dans les regrets de leur oncle les secrets de leur mère. Malgré la douleur, Paul
souriait, satisfait.
– Qu’est-ce qui te fait sourire, mon
oncle ?
– La fin de ma vie de flamant. J’espère
que ma jambe m’attend au paradis.
Décembre apporta son cortège de flocons et
Élise fut happée dans un tourbillon de tristesse sans fin. Elle n’en pouvait
plus de voir le visage de la mort nuit après nuit et elle s’en voulait de
parfois souhaiter que celle-ci prenne son oncle par la main pour l’emmener
chevaucher le vent. Côme lui manquait, même s’il n’était pas très loin et
venait le plus souvent possible. Marcel lui
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