L'absent
étonnerait, dit Octave en attrapant le
bonhomme par ses revers.
— M. le Préfet n’est pas dans son bureau !
— Où est-il ?
— Il est chez le ministre de l’Intérieur où les maires
des arrondissements se réunissent en ce moment.
— Qui le remplace ?
— M. le Secrétaire général…
— Filez le chercher.
— C’est-à-dire ?
— Nous avons à lui parler d’urgence.
— Qui fait tant de raffut ? dit en sortant d’un
corridor un individu replet et court sur pattes.
— Monsieur Walknaer, marmottait l’employé, ces
messieurs voulaient rencontrer M. le Préfet…
— Vous êtes le secrétaire général ? demanda La
Grange.
— Parfaitement, dit M. Walknaer, stupéfait de
l’intrusion et de la mine de ces visiteurs mal rasés.
La Grange se planta devant lui, dégageant les pans de sa
redingote pour que l’autre voie les pommeaux des pistolets qu’il avait passés
dans sa ceinture ; il dit d’une voix forte :
— Comment se fait-il que le préfet s’absente dans de
pareilles circonstances ? C’est insensé !
— M. de Chabrol est en réunion…
— De toute façon il n’est plus préfet de la Seine, il
est remplacé.
— Par qui ?
— Par M. Morin, ici présent, qui vient prendre son
poste et occuper son bureau. Ouste ! Laissez-nous entrer ! Non ?
Si vous n’êtes pas disposé à servir votre nouveau préfet, je peux aussi vous
faire remplacer.
— Je n’ai pas dit que je refusais…
— À la bonne heure et tant mieux pour vous : les
souverains alliés viennent de reconnaître Louis XVIII roi de France.
— J’ignorais…
— Bien sûr, vous étiez ici, confiné ou endormi !
Voici les proclamations, et des cocardes blanches que vous allez immédiatement
distribuer à votre personnel.
Morin tendit l’un de ses paniers au secrétaire général qui
risqua une question :
— S’ils ne veulent pas la porter ?
— Flanquez-les dehors ! Allez, nous avons du
travail.
Les trois comploteurs entrèrent dans le bureau du préfet et
refermèrent la porte au nez des employés.
— Voici votre bureau, Morin, bel endroit. Faites
d’abord réimprimer notre appel par les services de la Préfecture, et ordonnez
qu’on l’affiche dans tous les quartiers.
— Si je suis obéi…
— Ce tas de pleutres est à vos ordres.
— Mais si M. de Chabrol revient ?
s’inquiétait Morin.
— Quoi ? C’est maintenant que vous flanchez ?
— Non non…
— Vous avez le temps, ces bavards de la municipalité et
des ministères vont jaspiner sans fin, ils ne savent pas trop où sont leurs
intérêts, et puis, dès ce soir, Paris aura un gouverneur russe ou autrichien.
Octave tendait l’oreille :
— Vous entendez ? On dirait des chevaux, toute une
troupe.
— Voilà ! se chagrinait Morin, le préfet revient.
Octave et La Grange ouvrirent l’une des fenêtres.
Un détachement de cavaliers bleus à shakos noirs venait des
quais, mené par un général au bicorne emplumé.
— Les Prussiens ! dit le marquis. Ces braves gens
vont nous aider.
La Grange ramassa le deuxième panier de cocardes et il
entraîna Octave dans le grand escalier où des fonctionnaires apeurés tenaient
des conciliabules. En bas, M. Walknaer négociait avec les réticents qui
refusaient de porter une cocarde royaliste. Lorsqu’il vit La Grange et Octave
filer vers le perron, il leur emboîta le pas. Ils se retrouvèrent ensemble dans
la cour au moment où les dragons de Brandebourg y entraient en ordre. En les
voyant, le général descendit de cheval et se présenta. C’était un homme entre
deux âges, chargé de médailles et de plaques dorées, avec une mouche sous la
lèvre et une fine moustache retroussée :
— Che zuis le chénéral paron Plotho, te l’état-machor
du roi te Prusse…
— Où allez-vous, général ? demanda le marquis.
— Chez le bréfet.
— Le préfet, c’est moi.
— Très pien, meuzieur ! Che fiens m’entendre afec
fous pour les lochements des embereurs te Russie et d’Audriche, te mon
souferain et tes princes qui les accombagnent.
— Monsieur le secrétaire général ! cria La Grange.
— Je suis là, monsieur, ne criez pas, dit ce pauvre
Walknaer.
— Qui s’occupe du logement des souverains
étrangers ?
— M. Monnet, chef de division.
— Posez votre panier et appelez-le en vitesse !
Walknaer partit en courant et revint presque aussitôt avec
un personnage gras comme un
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