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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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penché dès cinq
heures du matin sur ses cartes, avec le major général Berthier.
    — Sa Majesté est sortie, monsieur le duc, lui dit le
premier valet de chambre, très haut de taille, très respectueux, qui n’avait
pas encore quitté ses habits de voyage.
    — Je sais, monsieur Constant. Comment est-il, ce
matin ?
    — De belle humeur, ma foi, dit le valet avant de
s’effacer.
    Napoléon refusait la défaite et Fontainebleau n’était qu’une
garnison ; il avait dédaigné les grands appartements, qui restaient
fermés, pour un logement plus militaire dans un entresol à l’angle du palais,
au bout de la galerie de François I er . Les fenêtres du cabinet
de travail ouvraient sur un sombre bouquet de sapins. Les cartes étaient
déployées en désordre sur une table de bois brut posée sur des tréteaux,
quelques tiges d’aloès fumaient dans le brûle-parfum en forme d’animal
égyptien. Maret jeta sur la cheminée la lettre décachetée qu’il portait à la
main, puis il consulta les cartes crayonnées pour y deviner les projets de son
Empereur.
    Après un accès de colère folle, l’avant-veille, parce qu’il
était arrivé de nuit, quatre heures trop tard, sur les collines au bord de la capitale,
où il avait questionné les cavaliers en retraite du général Belliard et aperçu
les mille feux des camps ennemis, Napoléon s’était ressaisi, il avait décidé de
masser les régiments sauvés par Mortier et Marmont le long d’une rivière qui
coulait de la rive gauche de la Seine à la route d’Orléans. Il était parti
inspecter cette défense naturelle, ordonner qu’on fortifie les villes
d’Essonnes et de Corbeil, leur poudrerie, leurs magasins de farine. Maret
savait que l’Empereur espérait attaquer Paris dans quatre jours, quand Ney et
Macdonald auraient ramené leurs armées de Champagne, des bandes épuisées, sans
moral et sans souliers, qu’il voulait remuer par sa présence.
    Le sourire de Maret cachait sa foi. Il subissait les fureurs
ou les lubies dangereuses de son maître et ne bronchait pas ; s’il avait
une critique ou un doute il les formulait en tête à tête, jamais en réunion, à
l’inverse d’un Caulaincourt plus brutal, et parce qu’il semblait ne jamais
désavouer l’Empereur, il passait pour un crétin servile. Il s’en fichait. La
confiance absolue de l’Empereur, il avait su la fabriquer et l’entretenir par
son attitude comme par des subterfuges. La jolie duchesse de Bassano, par
exemple, copiait parfois sous sa dictée des lettres où elle lui confiait sa jalousie
pour l’Empereur : il retenait trop le duc et le duc l’aimait trop.
Napoléon, qui lisait toujours la correspondance de ses proches, se réjouissait
d’un pareil dévouement, et au retour de son inspection matinale, où il avait
été acclamé, il n’était donc pas surpris, ni fâché, de trouver le secrétaire
d’État installé dans son fauteuil en bois doré. Il lança son chapeau par terre,
se défit de sa redingote dans les mains de Constant, apparut dans son uniforme
vert des chasseurs de la Garde, la panoplie modeste que vénéraient les
soldats ; il ouvrit une tabatière, se fourra une prise sous le nez,
éternua. Maret lui tendit la lettre qu’il avait apportée :
    — Sire, nous venons de recevoir une dépêche du duc de
Vicence.
    — Que dit-il ?
    — Il a eu du mal à rencontrer le tsar.
    — Mais il y est arrivé ?
    — Oui.
    — Continuez.
    — Les alliés ne traiteront pas avec Votre Majesté.
    — Continuez.
    — Le Sénat confirme un gouvernement provisoire autour
de Talleyrand…
    — Le Sénat ! Un gouvernement ! Caulaincourt
nous livre les noms de ces nains ?
    — Beurnonville, Jaucourt, Dalberg, l’abbé de
Montesquiou…
    —  Coglioni !
    —  Le préfet de police se serait rallié…
    — Lui aussi ? Déjà ?
    — Pasquier me doit pourtant son poste, souvenez-vous
qu’il me laissait gagner au billard pour que j’appuie sa nomination auprès de
Votre Majesté.
    — Faites-lui passer un message, demandez-lui des
détails, sa réponse nous éclairera.
    — Le duc de Vicence ajoute : « On me
repousse, je n’ai pas vu un visage ami. »
    Agacé et troublé, l’Empereur sortit son face-à-main, enleva
la feuille que tenait Maret et la parcourut, puis il la chiffonna, la laissa
tomber sur le plancher ; les mains dans le dos il tournait dans la pièce,
renversa la tabatière, se planta devant la fenêtre pour regarder les

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