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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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ça.
    — Ton or, y’en a beaucoup ?
    — Assez pour t’installer.
    — Ouvrir une boutique de mode ?
    Le retour de Semanow les interrompit.
     
    Encadré par des lanciers comme un prisonnier, Octave suivait
les quais au grand trot sur une jument prussienne. Semanow guidait la troupe et
réglait son allure. Pour gagner la route de Versailles, sur la rive gauche, les
cavaliers tournèrent au pont de la Concorde. L’établissement des bains était
illuminé ; l’imposante construction en bois flottait sur l’eau, avec ses
deux cents baignoires à trente sous, ses orangers en pots autour de la terrasse
qui surplombait le fleuve ; des silhouettes s’y profilaient aux flambeaux
dans un tintamarre de rires et de chants. De l’autre côté de la Seine, la
troupe de Semanow continua son chemin aux lumières des campements alliés. Trop
nombreuses pour s’installer dans les quartiers du centre, les armées bivouaquaient
à la périphérie jusque dans la campagne. Les soldats avaient transformé des
tonnelles en tentes confortables. Ici, des cosaques avaient monté leurs huttes
en retenant des bottes de paille entre leurs lances croisées, ailleurs des
fantassins berlinois se vautraient dans l’herbe autour de leurs chaudrons de
soupe. La guerre n’avait pas touché l’ouest parisien, aucun volet déchiqueté ne
pendait aux fenêtres, aucun arbuste n’avait été fauché par la mitraille comme à
Belleville. Au contraire, dans chaque village les fermiers et les bourgeois se
mêlaient aux militaires pour fêter la paix. Ils avaient dressé des tables sur
des tonneaux, la peau des moutons grésillait sur les broches, des jeunes
paysannes dansaient une farandole avec les hussards. Semanow arrêta ses hommes
au seuil d’un gros bourg et dit à Octave :
    — Je vous quitte, mais ne descendez pas de cheval, vous
repartez tout de suite.
    Il confia son voyageur et le laissez-passer à un officier
autrichien. À chaque village, Octave changea d’escorte ; de poste en
poste, il arriva sur les hauteurs de Juvisy au quartier général du comte von
Pahlen. Le 6 e  corps d’armée de Bohême occupait la
colline ; les enclos des chevaux, les tentes alignées étaient éclairés par
des torches fichées à des mâts. Il fallut qu’Octave se laisse bander les yeux,
puis, toujours accompagné, on le conduisit à travers champs. Il écoutait les
pas rythmés des régiments qui marchaient autour de Paris, beaucoup de pas,
beaucoup de colonnes. Lorsqu’un officier lui ôta son bandeau, il était neuf
heures du matin et il apercevait le clocher de la ville d’Essonnes.
    En avançant, seul désormais sur une route en terre, Octave
trouvait la situation cocasse : les royalistes l’envoyaient à
Fontainebleau espionner l’Empereur, quand à Paris il espionnait les royalistes
pour l’Empereur. Servir les deux camps, du moins en apparence, un opportuniste
en profiterait, mais Octave ne se sentait pas une âme de traître, et puis, si
les Bourbons parvenaient à s’établir, il y aurait toujours entre eux et lui le
fantôme du chevalier de Blacé dont il avait pris le nom, les oripeaux et la
vie. Lorsqu’il rencontra sa première patrouille française, des grenadiers aux
manteaux déteints par la pluie, il dit d’une voix de commandement :
    — Menez-moi à Fontainebleau, chez M. le duc de
Bassano.
    — Et pourquoi il vous recevrait, le duc ?
    — Dites-lui qu’Octave Sénécal vient lui faire son
rapport.

 
CHAPITRE II
En cage
    Dans la longue galerie de marbre du château de
Fontainebleau, un homme vêtu de noir marchait à pas mesurés en tenant une
lettre. Il avait une perruque blanche et frisée, des sourcils épais, un sourire
permanent aux lèvres, comme un rictus, un col montant pour souligner cet air
empesé qu’ont les vieux courtisans. Adjudants de service, chambellans en soie
écarlate relevée d’argent, fourriers, valets de différents grades, tous
s’arrêtaient à son passage et le saluaient en inclinant le buste ; il ne
leur répondait pas, il ne les voyait pas. C’était Hugues Bernard Maret, duc de
Bassano, secrétaire d’État qui régentait les affaires civiles, le plus proche
confident de l’Empereur. Il était seul à pouvoir entrer dans l’appartement
ordinaire de Napoléon sans qu’on l’annonce, et l’officier de garde, un
capitaine des voltigeurs, se contenta de lui tenir la porte ouverte. De l’antichambre
il passa dans le cabinet de travail ; son maître s’était

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