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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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le menton dans
leurs cravates de crin. Napoléon les passait en revue, son chapeau à la main
pour les saluer, et ils pleuraient de joie en hurlant « À Paris ! À
Paris ! » avant de s’ébranler, colonnes parfaites, frappant le pavé
au son des tambours. La Vieille Garde était en ville et elle avait détaché deux
bataillons pour prendre le service du palais.
    — Cela ne va pas simplifier votre travail, murmura
Chauvin à l’oreille d’Octave. Le marquis de Maubreuil pourra-t-il abattre
l’usurpateur s’il est entouré par ceux-là ?
    — Il a son uniforme…
    — C’est vrai, convenait Chauvin sans plus réfléchir
qu’un uniforme propre et neuf, il n’y avait que Maubreuil pour en porter un, ce
qui le rendrait voyant et suspect, mais Chauvin ne songeait qu’à s’enfuir.
Quand il sortit par l’une des portes réservées à l’office, il chuchota un
maigre « Vive le roi… » en clignant de l’œil. Octave croisa les bras
et soupira en le voyant trottiner dans la rue, ce nuisible qu’il aurait
volontiers étranglé si sa disparition ne risquait pas d’alerter le cordonnier
Boiron, Maubreuil et les membres du Comité.
     
    L’Empereur dînait dans le salon accablé de dorures des aides
de camp. Son appétit révélait son humeur et ce soir il avait faim. Sur un
guéridon, une serviette jetée dessus en nappe, le fidèle Dunan, fils d’un
cuisinier du prince de Condé, qui avait lui-même servi des aristocrates, posait
des assiettes d’argent couvertes. Napoléon soulevait les cloches, mettait les
doigts dans les plats, dévorait des crépinettes de perdreaux en même temps que
ses macaronis cachés sous le parmesan. Il s’essuyait à sa culotte blanche,
entre deux bouchées, causait, plaisantait comme s’il était certain de chasser
les étrangers aux frontières. Autour de lui on était plus grave, on l’entourait
debout selon le cérémonial maintenu. Un préfet tout en amarante, chapeau sous
le bras, vérifiait le chambertin cacheté et les plats qui arrivaient d’une
autre pièce où le maître d’hôtel les tenait cuits et recuits sur des boules
d’eau chaude. L’Empereur avalait rond de gros morceaux. Revigoré par les
ovations de sa Garde, il se plaisait à entendre plusieurs fois les dernières
nouvelles qui lui parvenaient de la capitale envahie :
    — Relisez-moi la proclamation de ce jean-foutre de
Talleyrand, disait-il en enfournant deux quenelles de volaille à la fois.
    Alors le comte Bertrand, grand maréchal du palais, avec son
air de chien triste, hochait son crâne dégarni et ses cheveux tire-bouchonnés
qui lui moussaient aux tempes :
    — Je lis, sire : Vous n’êtes plus les soldats
de Napoléon ; le Sénat, la France entière vous dégagent de vos serments…
    —  La France entière ! Le Sénat, ce tas de
révolutionnaires que j’ai débarbouillés ! De quel droit ? Vous avez
connu Lodi, Bertrand, et les Pyramides, vous avez commandé à Austerlitz, et
vous imaginez ce boiteux de Talleyrand devant mes troupes ? Il se traîne
si difficilement du lit au fauteuil ! Et vous les voyez, mes soldats,
commandés par le roi de Prusse ?
    Depuis la veille et le rapport de Caulaincourt, Napoléon
savait le climat de Paris mais il ne s’en affectait pas. Les journaux
l’insultaient, le traitaient d’ogre et de tyran, mais c’était dans l’ordre des
choses : le nouveau gouvernement y avait posté des rédacteurs aux ordres.
Il savait aussi que le tsar avait été acclamé à l’Opéra ; le peuple
allait-il à l’Opéra ? Les mijaurées des balcons avaient lancé dans la
salle des rubans blancs, les spectateurs en frac s’étaient égosillés :
« À bas l’oiseau ! À bas l’aigle ! », si fort qu’un
machiniste avait dû recouvrir cet emblème d’une étoffe, au fronton de la loge
impériale. Un ancien forçat nommé Vidocq, qui menait une brigade de police,
avait escaladé la colonne Vendôme pour y renverser la statue où l’Empereur
figurait en toge, mais elle n’était pas tombée, elle avait seulement penché
pour narguer ces voyous et menacer les passants, du coup les Russes en avaient
interdit l’approche… Même les propositions de Caulaincourt, qui cherchait à le
sauver, Napoléon les dédaignait : eh quoi ? il lui proposait
d’abdiquer en faveur du roi de Rome ? L’Empereur en parlait quand son
maître d’hôtel lui servit sa tasse de café quotidienne :
    — La régence est un leurre, Bertrand,

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