L'absent
Comité, c’est lui qui porte les messages.
— C’est moi.
La jeune fille recousait maintenant la livrée qu’Octave
portait, mais il eut soudain un mouvement de recul, elle le piqua au bras.
— Aïe !
Un chasseur de la Garde, qui tenait à la main son bonnet en
poil d’ours, sortait de la chambre voisine. Cette apparition avait fait
sursauter Octave, et comme le soldat s’approchait de la lampe, son visage lui
rappela quelqu’un. Il avait déjà vu ce visage creux, ce regard voilé, mais sous
quel autre costume ? L’homme s’adressa à lui d’une voix hautaine et lente :
— Vous êtes le chevalier de Blacé ?
— Et vous ?
— Marie Armand de Guéry de Maubreuil, marquis
d’Orvault.
Maubreuil, ce marquis qui avait accroché sa Légion d’honneur
à la queue de son cheval, l’autre matin, quand les alliés défilaient sur les
boulevards, Maubreuil déguisé avec un uniforme pris dans les magasins de
l’École militaire, un aventurier, un chouan, parent des Caulaincourt par son
beau-frère, un temps l’écuyer de Jérôme Bonaparte, spéculateur sur les
fournitures de l’armée…
Il tira de son dolman des lettres tamponnées et signées par
les nouvelles autorités parisiennes, un ordre de Sacken pour mettre à sa
disposition les troupes étrangères, un passeport, un permis qui l’autorisait à
prendre en priorité des chevaux de poste.
— Bien, dit Octave en ôtant son vêtement rectifié, mais
pourquoi nous montrer ces documents ?
— Pour que vous me facilitiez la tâche, vous aussi. Je
suis venu exécuter un ordre confidentiel de M. de Talleyrand, chef du
gouvernement provisoire. Il s’est accordé avec l’entourage de Monseigneur le
comte d’Artois, c’est-à-dire avec les gens de votre Comité.
— Quelle est donc votre mission ?
— Tuer Buonaparte.
Le lendemain, samedi 2 avril, dans la matinée, Chauvin
avait touché ses gages et bouclait une sacoche sous l’œil amusé d’Octave. En se
substituant au larbin, celui-ci en avait pris les manières mesurées avec
l’habit, ce fameux habit vert au collet brodé d’or, la culotte noire, les bas
blancs. Comme convenu, Chauvin irait en ville ; le cordonnier Boiron
devait lui procurer une carriole de maraîcher pour sortir de Fontainebleau.
S’il rencontrait par aventure des soldats étrangers sur la route d’Orléans, ce
qui était possible, le laissez-passer à son nom que lui avait cédé Octave
serait utile. Avant de s’éclipser, heureux de quitter des bruits de guerre dont
il était craintif, il laissa quelques recommandations :
— Vous commencez votre service à midi, à la place de
Monsieur Hubert qui a veillé la nuit dernière dans l’antichambre, vous n’aurez
qu’à exécuter les ordres de Monsieur Constant. Les horaires de l’Empereur ne
sont pas réglés comme d’habitude, il faut vous tenir prêt à chaque instant et
pour n’importe quoi, vous vous y ferez, et vous n’avez plus à savoir comment se
règlent à la minute les journées normales du tyran, eh oui, tout se dérègle,
mon ami, tout se dérègle…
Ils marchaient à grands pas sonores dans les couloirs, sous
les plafonds à caissons de bois doré encadrant des scènes de la mythologie,
bucoliques et hors de propos ; les portes des salons d’apparat étaient
condamnées par des portières de velours sombre, et entre les candélabres
éteints, à la lumière d’un jour pâle, des groupes d’officiers et de domestiques
discutaient à voix sourdes. Caulaincourt était rentré de Paris, disaient-ils,
il avait longuement parlé cette nuit avec Sa Majesté, ils n’en savaient pas
plus mais ils certifiaient que l’offensive serait lancée dans trois
jours – ce que Chauvin allait s’empresser de confirmer au cordonnier
Boiron.
— Il faut que M. de Maubreuil monte son
guet-apens au plus tôt, disait-il à Octave.
— Ce n’est plus votre affaire, Chauvin.
— Serez-vous à la hauteur ?
— Je m’occupe de ce Maubreuil.
En passant devant une haute fenêtre ouverte par des curieux
du personnel, ils entendirent des cris délirants : « Vive
l’Empereur ! À Paris ! À bas les traîtres ! » Par-dessus
les épaules et les têtes des soldats et des valets, ils aperçurent dans la cour
du Cheval-Blanc des grenadiers et des chasseurs en bonnets à poil, au
garde-à-vous : ils présentaient les armes en braillant d’enthousiasme,
gris de terre des souliers aux épaulettes de laine, mais rasés,
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