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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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vous
m’entendez ?
    — Oui, sire, je vous entends : un leurre.
    — Le duc de Vicence est dévoué mais ça, il ne le saisit
pas ! Mon fils est un enfant, l’impératrice n’y connaît rien aux affaires.
La vérité, c’est que nos adversaires veulent que je disparaisse, Bertrand,
parce qu’ils se savent perdus, sans munitions, pris au piège dans Paris !
À qui peuvent-ils se fier, hein ? Ils sont nombreux, peut-être, mais
divisés. Moi j’ai la Garde, Bertrand, la Garde dont la seule vue les effraie.
Ma Vieille Garde s’étire jusqu’à Étampes. Les régiments d’Oudinot et de Gérard
sont arrivés, la cavalerie de Macdonald est à Melun. Marmont tient Essonnes et
Corbeil, avec Mortier plus à l’ouest.
    Le duc de Bassano entra au moment où l’Empereur terminait
son café. Il avait reçu une réponse du préfet Pasquier, auquel il avait envoyé
un billet : un homme de la campagne avait contourné les lignes
autrichiennes par des chemins forestiers. Il annonça à l’Empereur que le Sénat
avait prononcé sa déchéance, que des généraux s’apprêtaient à rallier le
nouveau gouvernement. Comme Napoléon ne sourcillait pas, le duc s’interrompit
et le regarda, mais sur un signe il continua sa lecture :
    —  On assure qu’il y a plusieurs projets d’approcher
l’Empereur et que, dans le nombre des individus qui se livrent à cette pensée,
il y a plusieurs Jacobins. Les banquiers offrent douze millions…
    L’Empereur tendit la main, prit la lettre, reconnut
l’écriture de Pasquier, haussa les épaules :
    — Ce n’est pas la première fois qu’on veut m’approcher
comme l’écrit ce bon Pasquier avec des précautions. Vous souvenez-vous,
monsieur le duc, de cet ancien fumiste des Tuileries qu’on avait déniché
derrière les rideaux de mon cabinet de travail ?
    — Oh oui, sire, il avait déjoué les rondes et les
sentinelles…
    — Il prétendait retrouver l’âme de son père dans les
lumières du palais !
    — Un fou que nous avons expédié à Charenton, sire, mais
aujourd’hui il ne s’agit plus de fous.
    — L’argent des banquiers est autrement redoutable,
hein ?
    — Beaucoup nous trahissent, même Pasquier ajoute à la
fin de sa lettre qu’on ne doit plus s’adresser à lui.
    — Voyons, monsieur le duc, celui qui prévient ne trahit
pas.
     
    Octave devait se souvenir éternellement de la journée du
4 avril. C’était un lundi. Il avait passé la nuit à remplacer Chauvin. Son
travail consistait à poser dans la chambre de l’Empereur, sur la commode, une
assiette avec deux verres que couvrait une serviette, un sucrier en argent au
couvercle en forme de conque, une petite cuiller et une carafe pleine
d’eau : Napoléon, parfois, se relevait pour boire de l’eau sucrée. Pour le
reste, Octave devait se tenir disponible. Il avait vu des officiers entrer et
sortir du bureau, sombres, irritables ; il avait entendu des éclats de
voix sans réussir à comprendre les discussions ou les ordres. Il avait déjà
averti Bassano des projets meurtriers de Maubreuil, mais l’Empereur, pensait le
duc, ne risquait rien dans l’immédiat : Octave lui relaterait tout cela au
matin pour qu’ils mesurent ensemble ce danger, que confirmait la lettre du
préfet Pasquier. Puis, dès que Napoléon s’était fermé dans sa chambre, Octave
avait ôté sa livrée pour ne pas la froisser, et il s’étendit en gilet sur un
canapé. De même, le mamelouk Roustan rangea sa toque de velours et son sabre
courbe sur une chaise, il poussa contre la porte son lit de sangle.
Grassouillet, coquet, sans cervelle, cet enfant de Tiflis, esclave d’un sultan
avant de devenir en Égypte le toutou du général Bonaparte, parlait sans répit
du bureau de loterie que venait de lui accorder l’Empereur, mais il épargna ce
récit à Octave en s’endormant vite. Hélas, le bougre se mit à ronfler ; il
ronflait sur des rythmes changeants et la nuit fut éprouvante, propice à agiter
des pensées discordantes, dans un demi-sommeil qui exaspérait la réalité :
Maubreuil disait-il vrai ? Il était célèbre à Paris pour ses fanfaronnades.
Si oui, pourquoi le Comité royaliste de Sémallé soutenait-il maintenant un
assassinat auquel il ne songeait pas deux jours plus tôt ? Talleyrand y
était pour quelque chose. Et le comte d’Artois ? Il y avait des liens
entre ces gens, puisque Maubreuil avait usé de la filière royaliste, à
Fontainebleau. Pourquoi Octave

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